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18 mai 2023 4 18 /05 /mai /2023 16:31
Jérusalem, réunification, rassemblement, prière, Israël, guerre des Six jours
Réunification de Jérusalem Prière du matin à l'aube au Cotel

Il était rationnellement impossible pour tout dirigeant israélien de faire face au profond désarroi dans lequel était plongé le pays durant la période qui a préludé à la guerre des Six jours. L'Égypte, avec la complicité de la Jordanie, de la Syrie et de l'Irak, ainsi que du soutien financier de l'Arabie Saoudite, ferme le détroit de Tiran à Israël. Le conflit de 1956 s'était conclu par un désengagement israélien du Sinaï, en échange d'une garantie que l'Égypte n'entraverait pas le trafic maritime avec Israël. Or, en mai 67, les troupes de l'Onu évacuent la base de Charm el-Cheikh, et l'Égypte de Nasser, comme son nom l'indique[1], met en place un blocus sans précédent.

Israël rappelle les réservistes. Les armées arabes sont des armées de métier aguerries. 547 000 soldats ennemis, contre 264 000 chez nous. 2 500 tanks ennemis contre 800 chez nous. 957 avions ennemis contre 300, et d'une relative vétusté (mirages français de base). Les ennemis ont des Mig-21, fournis par l'URSS. L'armée a fait part de ces données et de ses inquiétudes au gouvernement. 40 000 tombes sont préparées dans le parc de Ramat-Gan. Le jardin de l'Indépendance, à Tel-Aviv, à l'époque plus vaste qu'aujourd'hui, avant la construction de l'Hilton, se transforme en cimetière sous la supervision du grand rabbinat de Tsahal, avec une capacité de 20 000 places. L'état-major envisage 90 000 victimes. Isaac Rabin en est le chef, il se sent mal.

Dove Goldstein[2], de la rédaction du journal Ma'ariv, biographe de Rabin, raconte : Nous avons un gouvernement sans ministre de la Défense, puisque Lévi Eshkol en occupe le poste alors qu'il est déjà Premier ministre. Il est connu pour son manque de détermination et son incapacité à prendre des décisions. Cela fait trois semaines que l'Égypte bloque l'économie du pays qui va en s'affaiblissant… Il compte sur le chef d'état-major, Rabin, pour qu'il intervienne également en tant que ministre de la Défense, qu'il décide et fasse part de ce qu'il a décidé.

Ben-Gourion s'entretient avec Rabin, qui se figure alors qu'il peut reprendre espoir. Il est vite détrompé. Ben-Gourion lui signifie qu'aucun conflit avant lui n'a été mené sans le soutien d'un allié qui compte parmi les puissances. En effet, pour l'opération Kadech, il s'était allié à la France et à l'Angleterre, qui avaient fourni la couverture aérienne. Il souligne que dans l'état actuel des choses, il n'y a aucun allié. Puis il prévient les responsables qu'ils risquent de pousser le peuple juif vers une Shoah plus catastrophique encore que celle d'Europe. Il lui conseille donc de préparer des fortifications, des tranchées, et de ne pas tirer le premier. Rabin, au lieu d'être encouragé par cette figure quasi légendaire qui a pourtant proclamé l'indépendance du pays envers et contre tous, sent que la responsabilité, face au silence du gouvernement, est bien trop lourde pour ses maigres épaules.

Le biographe note que Rabin est alors brisé. Il vit un effondrement du système nerveux. Néanmoins, Rabin fait appel à Ezer Weizmann, son second de 66 à 69, et chef du département opérationnel (ראש אג"מ = אגף מצבעים). Il cherche en lui un remplaçant. Weizmann refuse, lui ordonne de se ressaisir, sa démission en pareilles circonstances pouvant porter un sérieux coup au moral du pays. Quoi qu'il en soit, Bar-Lev est investi des fonctions de vice chef d'état-major.

Concrètement, des tranchées sont creusées, et les civils se mettent à coller les vitres de leurs maisons, afin que, en cas de bombardements, elles ne volent pas en éclat en les menaçant. Après tout, plus récemment[3], nous avons bien eu les masques à gaz et la bande adhésive autour des portes et des fenêtres face aux missiles scud irakiens chargés chacun d'un quart de tonne d'explosifs.

Cette période de fiévreux préparatifs est nommée : la période d'attente (תקופת ההמתנה). Le pays tout entier est dans l'expectative. Tout est figé : commerces, boulangeries, épiceries, transports, tandis que l'armée de réserve se prépare à une guerre de tranchées dans le Néguev. Les étudiants des écoles talmudiques, les yéchivot, redoublent de prières. Le commandant de la Région Sud, le général Yechayahou Gavich, en compagnie de ses officiers, rend visite avant la guerre aux étudiants de la yéchiva Ponovitch, à Bené-Brak. Ils sont reçus par le recteur, le Rav Kahaneman. La veille de la guerre, il rédige l'ordre du jour : «Le sort de l'Etat d'Israël est entre vos mains. Les yeux du peuple d'Israël se lèvent vers vous. Que les prières pour notre victoire soient exaucées. D. est avec vous. »

Le lundi 26 yar, une décision est enfin prise. À 7h14 du matin, l'aviation prend son envol. 197 appareils de l'armée de l'air partent bombarder 11 aéroports militaires égyptiens. Le nom de l'opération : Moked. Seuls 12 avions de combat restent en Israël pour la défense des arrières. Le pays a joué le tout pour le tout. Ce programme n'est pourtant pas nouveau. Il a été mis au point deux ans plus tôt. Le danger est de taille : si les avions sont découverts par l'ennemi, ce dernier dispose de missiles anti-aériens soviétiques qui comptent parmi les plus perfectionnés de l'époque. Les avions volent à 30 m d'altitude pour échapper aux radars. Aucun avion israélien n'est retardé ou empêché. Tous atteignent leurs cibles, traversent le Sinaï, longent le canal de Suez, et même le Nil. Tsahal est équipé de bombes de fabrication française préparées sur commande et sur mesure. L'opération consiste à perforer dans un premier temps les pistes de décollage, et ensuite seulement les avions égyptiens. Chaque bombe creuse une fosse d'1.5 m de profondeur sur 5 m de diamètre. À 7h45, l'armée de l'air égyptienne est sous l'effet total de la surprise. Néanmoins, notre armée perd 8 avions, cinq aviateurs sont tués. Deux sont faits prisonniers, un autre est récupéré.

L'état-major israélien a du mal à comprendre ce manque de réactivité. Le système aérien de la défense égyptienne ne s'est pas mis en marche malgré sa puissance de feu, l'aviation égyptienne n'a pas tenté de limiter les dégâts en faisant décoller un minimum d'avions. Ils laissent le champ libre à l'action d'Israël. Les avions israéliens rentrent au pays, font le plein de carburant et, à 9h45, repartent pour la seconde vague. 200 avions égyptiens sont détruits par la première attaque, 100 par la seconde. Inutile de préciser qu'il n'y a plus d'effet de surprise lors de cette dernière sortie. Un autre avion israélien tombe, mais l'artillerie égyptienne ne se manifeste toujours pas. Il est donc 10h45 quand l'Égypte est privée de 300 de ses avions.

Le gouvernement et l'armée sont très étonnés par l'ampleur du succès. Le commandant de l'armée de l'air, Mordekhaï Hod, déclare que même dans ses rêves les plus doux ou les plus fous, il n'a jamais envisagé une telle réussite. Pendant ce temps, la station de radio égyptienne qui émet en hébreu, Kol Haram, raconte que l'Égypte gagne sur tous les fronts. Du coup, la Syrie, l'Irak et la Jordanie se galvanisent, elles veulent se joindre à la curée pour récupérer leur part du butin. L'opération israélienne se poursuit contre les avions irakiens avec succès.

Le Rav Yossef ben Porat, dans une conférence intitulée «Les secrets de la guerre des Six jours»[4], fait le point sur quelques uns des miracles qui ont accompagné le déroulement des événements :

Donc, le 25 yar 5727, le gouvernement donne à l'armée l'ordre de lancer l'opération Sadir Adom (nom de code). L'armée de l'air est sommée de lancer l'opération Moked, comme précité. On a appris plus tard que ce même soir (veille du 26 yar), le vice-président égyptien et ministre de la Guerre décide de sortir pour un vol de reconnaissance au-dessus du Sinaï le lendemain, lundi. Il doit atterrir à Refidim et y rencontrer les commandants égyptiens de la région du Sinaï. Le haut-commandement de l'armée l'accompagne dans son déplacement. Un deuxième avion transporte le Premier ministre irakien, et un troisième un commando pour la sécurité des premiers. Conséquemment, le ministre égyptien donne l'ordre à la défense aérienne de ne tirer aucun missile ni aucune balle entre 7h et 8h, de crainte qu'un malentendu ne le mette en danger. Seul un ordre qu'il donnerait personnellement pourrait autoriser des tirs. En fait, la visite ne peut avoir lieu, vu qu'il n'y a plus de piste. Pourtant, à cette époque, la réputation de la défense égyptienne est telle que l'on raconte que même un oiseau ne pourrait pas passer.

Un autre fait extraordinaire, révélé lui aussi après coup, tient dans l'heure de l'attaque israélienne. En principe, de telles opérations se produisent aux premières lueurs de l'aube, soit vers 5h30 (avant l'heure d'été). Or, l'opération Moked démarre après 7h.

Autre miracle[5]. Outre les canons et systèmes de radars, l'armée égyptienne maintient constamment une patrouille aérienne de quatre Mig-21.  Avec toutes leurs menaces, les Égyptiens craignent un peu quand même une attaque préventive d'Israël. La patrouille commence tous les matins à 4h30 et prend fin à 8h30. Or, ce matin-là, elle reste au sol. Le commandant égyptien des forces aériennes du quartier général de l'est, El Hariri, constatant cette absence, contacte le responsable. Ce dernier faisait tout simplement la grasse matinée. La raison en a été révélée plus tard : la veille, ils avaient fait une petite fête. Donc, ce que les radars ne pouvaient détecter, la patrouille, encore endormie, ne l'a pas vu non plus.

Cet incident prend d'une certaine manière le contrepied de l'insomnie du roi perso-médique, qui, pour passer le temps, s'était fait lire ses chroniques, pour tomber sur l'affaire de Mordekhaï qui avait déjoué en sa faveur un complot mais n'avait pas été récompensé. Aman arrivait sur ces entrefaites.

Autre fait surprenant : les premiers avions quittent donc la base de Hazor à 7h14. On sait que la Jordanie a un radar anglais de haute précision. Il faut se rappeler qu'à cette époque, la largeur de l'Etat d'Israël, quand la Jordanie occupe encore la Judée et la Samarie, ne permet pas de cacher le trafic aérien, y compris en volant à très basse altitude. D'un autre côté, il eût été maladroit de s'attaquer pour prévenir au matériel jordanien, ce qui aurait éveillé les soupçons. Les Jordaniens, donc, ayant observé une multitude de points se dirigeant vers l'ouest, en avisent immédiatement le haut commandement égyptien, avec lequel ils s'étaient mis en contact. Le message, comme partout dans les armées, n'est pas explicite. Le mot 'aneb sert de code. Or, le messager reste incompris. Le commandement égyptien, prévenu dès le départ des escadrons d'Israël, agacé par cet individu qui crie 'aneb, 'aneb, coupe le contact avec son informateur.

Il ne s'agissait pourtant pas d'un agent double. Il y eut simplement un problème de communication. Le code égyptien avait été modifié la veille à minuit, sans que l'on daignât mettre les Jordaniens au courant. Mais alors, nous dirions-nous, le télégraphiste de garde aurait dû comprendre tout de suite qu'il s'agissait certainement d'un changement de code. Sans entrer dans la considération que l'équipe ait pu être remplacée en même temps que le code, il s'avéra aussi entre autres que les stratèges égyptiens et/ou leurs conseillers – souvent inappropriés en cette région, vu que la principale stratégie russe consiste à laisser l'armée adverse s'introduire profondément sur le territoire à défendre le temps que la neige tombe, le hic étant que dans les guerres égyptiennes, la neige n'est toujours pas tombée – y pensèrent mais bien plus tard.

Les failles de la surveillance égyptienne n'étaient pas connues des services de renseignements israéliens. Toutes ces coïncidences – pour autant que l'on soit en mesure d'employer ce terme – n'ont été révélées que par la suite.

Comme d'aucuns le diront en ce jour du 56ème anniversaire de la Réunification de Jérusalem, en récitant le Hallel : «C'est de D. que tout cela provient, c'est une merveille à nos yeux» (Psaumes CXVIII, 23).

 

[1] נצר , נוצר, נצורה, מצור; respectivement : le nom du président égyptien tel qu'il est orthographié en Israël, «assiège», «assiégée», «siège».

[2] D'après une conférence du rabbin israélien Yossef ben Porat, cité par la suite dans ce texte.

[3]  Guerre du Golfe, 1991.

[5] Minute (24'55") du film de la conférence du Rav Yossef ben Porat.

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