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5 février 2017 7 05 /02 /février /2017 18:29

L'antisionisme judiciaire, une arme redoutable qui remet au goût du jour les heures de gloire de l'antisémitisme

En voulant pratiquer à tout prix une justice irréprochable, sans faire de différence, et en faisant abstraction de la haine du monde arabe contre Israël, la Cour suprême israélienne devient la caricature d'elle-même et présente une réalité ubuesque répétant des traitements inhumains et des réflexes passés que l'on pensait à jamais révolus. En voulant exposer une facette équitable par excellence et se montrer trop bons, on diffuse au monde des images que l'on pensait surannées

Leibowitz[1] disait que le plus grand défi moral de l'Etat d'Israël était de ne pas devenir à notre tour des bourreaux, de ne pas faire aux Arabes ce que les Allemands nous ont fait. En filigrane, l'enfant longtemps battu pouvant devenir en s'affranchissant un parent violent, il fallait se montrer particulièrement vigilants, et privilégier la retenue.

Cette doctrine dangereuse pour les Juifs, nous le verrons plus loin, s'est profondément ancrée à l'usure dans les mentalités. Elle a même généré cette approche des concessions en échange de leur conciliation. Et, curieusement, alors que les dirigeants arabes avaient été les complices des Allemands, de connivence avec eux, fait pression sur les Anglais, ourdi des pogroms en Palestine juive, il fallait prouver que nous pouvions désamorcer la haine par l'amour. Pourtant, en dépit de la défaite des forces de l'Axe et de la montée d'une Allemagne plus conciliante au moment même où le leader Husseini[2] échappait au procès des criminels de guerre et que les adeptes de son idéologie n'ont jamais cessé de commettre partout où ils le peuvent les pires atrocités contre les Juifs, de la lapidation de bébés dans les bras de leur mère au mitraillage à l'arme automatique de fidèles en prière en passant par l'exécution de jeunes parents devant leurs enfants, nos intellectuels moralisateurs – du moins ceux qui ont les faveurs des médias – n'en ont jamais démordu.

D. a accordé à Israël des victoires qui ont dépassé l'entendement. On s'est sentis forts, on a été grisés par la défaite éclatante de l'ennemi sanguinaire, à commencer par les dirigeants, à un point tel que si quelqu'un émettait encore des réserves quant au côté invraisemblable de l'écrasement des Grecs par les Asmonéens, événement commémoré chaque année à Hanoukka, il lui suffira de reconsidérer le déroulement de la guerre des Six jours pour dissiper le doute de son esprit.

Puis, au lieu d'entonner un cantique, de le louer et de voir dans ce renversement de la menace du grand nombre sur le petit, des criminels sur les innocents, le doigt de Dieu et l'accomplissement des prophéties sur le retour d'Israël en ses frontières et l'affranchissement du joug des nations, on a voulu faire les magnanimes, plaire, jouer les grands seigneurs, pratiquer d'une bien curieuse façon le principe essentiel qui doit faire d'Israël le «phare des nations».

On a donc corrompu le projet initial, en refusant de chérir cette terre si longtemps hors de notre portée, si longtemps interdite. Mais non, très peu pour nous, la terre de «l'an prochain à Jérusalem» devient une marchandise échangeable – des «territoires» tangibles à négocier contre une paix très abstraite – territoires que l'on a bien voulu, pour ne pas trop trahir notre conscience, ne pas faire suivre de qualificatifs comme «occupés» - nous en sommes tout de même originaires - encore plus dégradants que ne l'est déjà cette appellation.

Mais ça ne s'arrête pas là. On joue la carte de l'égalité absolue, on s'extrait du contexte de guerre totale que nous vouent nos ennemis, les plus dangereux au quotidien restant ceux de l'intérieur, ceux qui peuvent entre autres supplices vous foncer dessus à votre arrêt d'autobus. Aujourd'hui, on pérore en voulant montrer à l'ex monde libre encore imbibé de catholicisme, ce que tendre l'autre joue veut dire, comment il faut s'y prendre.

  1. un rapide coup d'œil sur le rouleau biblique des Lamentations révèle en une phrase que cette inclination ne procure aucune gloire, ni n'amadoue, ni ne fait regretter à l'agresseur son agressivité. Tendre l'autre joue est une invitation à se faire rosser davantage : «qui tend sa joue à celui qui le frappe se rassasiera d'opprobre»[3]. Aujourd'hui, donc, les dirigeants veulent montrer que tous sont égaux devant la loi, via un imbroglio de divers systèmes juridiques, souvent résiduels d'empires disparus, et de mises à jour de colmatage, qui constituent la base d'un système de justice très loin des sources du droit biblique hébraïque dont on se réclame pourtant. On croit puiser dans la profonde culture d'Israël, et, puisqu'il faut aimer l'étranger, attachons-nous donc à brimer nos frères, à les molester, expulsons les nôtres pour faire justice à l'ennemi. Le monde entier nous en aimera davantage. Le prix est lourd, mais qu'est-ce qu'on sera bien vus des goïms! Quelle maîtrise de notre force, quelle retenue malgré notre puissance!

L'effet inverse

Et c'est ainsi qu'un beau soir, l'opinion internationale découvre stupéfaite des images qu'elle pensait à jamais révolues. Et un monde qui cherche à s'amender, à sanctifier le «plus jamais ça», dans un élan de sincérité, en honorant largement la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste, en ce dernier 27 janvier[4], découvre sur ses petites écrans, moins d'une semaine plus tard, l'horreur que l'on croyait révolue : coups, blessures, expulsions de familles juives innocentes par un froid glacial de la douce quiétude de leur foyer rassurant.

Même les propagandistes les plus aguerris manquent de s'étrangler. Débitant sa sempiternelle mélopée du méchant colon juif et du pauvre spolié arabe, le journaliste se met à bafouiller. Interloqué, il manque de s'étrangler en direct. En France, un célèbre employé de la télévision, un certain Pujadas, ne peut s'empêcher de constater l'abject décalage entre son laïus prémâché et les images qu'il doit commenter. Il voit des forces de police s'introduire dans les maisons, en jeter dehors avec brutalité et force cris les habitants, quarante-deux familles paisibles et respectables, dont quelque deux-cents enfants, par une glaciale journée d'hiver. Des familles démunies de tout en un instant, dont la maison et la vie économique, associative, culturelle… s'écroulent du jour au lendemain, n'ayant absolument pas les moyens de se louer un logement décent. Ils ne peuvent pas même accepter avec résignation cette violence du tribunal et de ses exécutants, se dire qu'ils iront se reloger ailleurs ; les prix de l'habitat, en ville, à Jérusalem, s'élèvent à des millions, sommes qu'ils ne gagneront pas dans toute une vie de travail honnête.

«Heraus, schnell», croit entendre le téléspectateur choqué. Certes, le décalage entre ces présentes violences et l'association incontournable qu'évoquent ces images dans l'opinion est immense. Ah, si les Allemands avaient seulement jeté les Juifs dans la rue en les laissant partir! Comment peut-on comparer un village juif en errance à des événements indicibles des millions de fois plus graves?

On pourrait opposer à ce constat sinistre que d'autres agissements brutaux de cet ordre avaient déjà été commis lors des événements de la destruction de la ville de Yamit, dans le Sinaï, ou l'expulsion des Juifs de Gaza, il y a un peu plus d'une décennie. Mais la pilule, bien enrobée, avait été avalée plus facilement. Les notions de paix historique avec l'Egypte, de l'avènement imaginaire de l'ère de la paix, ou l'impression d'un règlement régional, justifiaient quelques douloureuses concessions. On ne peut pas tout avoir. Par contre, dans le cas présent, même des observateurs, chroniqueurs, journalistes ou analystes, globalement de gauche, pour en reprendre l'appellation, se mettent à titrer : «Un village juif anéanti, des familles jetées hors de leurs maisons pour rien».

Car il faut bien comprendre que la conscience collective, aujourd'hui, s'est conditionnée de sorte que dès que l'on pense antisémitisme, on pense Shoah. Personne en Israël ne souhaite une pareille comparaison, comparaison qui vient s'imposer paradoxalement par la prépondérance qu'occupent les événements indicibles de la deuxième guerre mondiale dans le souvenir. Cette tragédie, ce cauchemar ne doit pas être banalisé, et il convient de toujours s'attacher à ne lui comparer aucun autre fait, même des plus insupportables pour le bon sens et la morale.

La comparaison redoutée ne peut que conduire à deux résultats diamétralement opposés : soit l'on fait de ces policiers qui n'ont fait qu'obéir à des ordres des monstres indignes du genre humain, mais aussi du tribunal et du gouvernement ; soit l'indicibilité de la Shoah se banalise à la longue. De l'échec moral absolu d'une humanité qui se voulait éclairée, le génocide devient sémantiquement une notion affaiblie associée à toute conduite plus ou moins déshonorante.

La restriction des connaissances impose cette comparaison

On a tellement peur que les falsificateurs de l'histoire ne parviennent à imposer leur mensonge, lorsqu'ils prétendent que le génocide est une invention des Juifs, que l'on fait tout son possible pour que la vérité persiste triomphe. Les derniers témoins vont bientôt disparaître, et il ne restera pour l'attester que tout ce travail immense de documentation, de rassemblement de récits, de noms, en une besogne opiniâtre et inlassable.

Il y a cependant un sérieux inconvénient. L'une des conséquences de l'investissement inouï en vue de récolter, d'archiver et de mettre à la portée de toutes les consciences le cauchemar irrationnel que fut l'Holocauste, est qu'il serve de référence exclusive dès qu'il est question de condamner des violations des droits de l'homme. Cette association se superpose par un réflexe conditionné à la pensée.

Certes, il ne faut pas oublier ce qui se produisit en Europe. Mais élargissons un peu nos horizons, ne jouons pas la carte de la mémoire courte, de la tragédie exclusive et jamais vue en d'autres temps. La destruction du Temple, et surtout la répression de la révolte de Bar-Kokhba, ont fait des millions de morts. Les Romains, à Bethar notamment, saisissaient les jeunes garçons par les pieds et leur fracassaient la tête sur la roche[5], ne lâchant prise qu'après s'être assurés d'y avoir répandu leur cervelle. Des découvertes archéologiques récentes ont attesté de l'existence de fosses communes, à proximité des vestiges du Temple, où les Juifs étaient massacrés pas centaines, jetés et ensevelis, tous âges confondus. L'empire romain fit disparaître les deux millions de Juifs qui vivaient en Palestine juive pendant les premiers siècles de l'exil d'Édom.

Cette Shoah est occultée, et les négationnistes de l'Unesco sont bien placés pour le savoir puisque ses décrets renient jusqu'au lien entre les Juifs et Jérusalem. Nous ne nous étendrons pas non plus sur les tentatives d'anéantir le peuple juif sous l'Inquisition ou sur les communautés massacrées à l'époque qui suivit de peu celle de Rachi, ni sur les expulsions répétées des Juifs de France, plus de dix au total, qui s'étendent sur un millénaire et demi, de 533 à 1941 de l'ère vulgaire, sous Philippe Auguste en 1182 par exemple, ou encore en 1394 sous Charles VI. D'aucuns pressentent dans les années 2000 une nouvelle expulsion, bien qu'en l'occurrence elle se produit indirectement.

L'expulsion de Juifs était une malheureuse tradition pendant leur exil, et ce qui choque aujourd'hui le téléspectateur qui n'en croit ni ses yeux ni ses oreilles, c'est de constater que l'Etat juif ne garantit pas que ses citoyens puissent enfin considérer ces pratiques comme révolues, définitivement rattachées au passé où le Juif semblait apatride.

Naor, Netanyahou et Liebermann y contribuent concrètement

Cette question n'est contournable que par hypocrisie : Qui, encore une fois de trop, a mis en scène des policiers s'introduisant dans des foyers privés, boutant brutalement dans le froid des pères, des mères, des enfants? Attention! Ne dites surtout pas que vous avez cru revoir des kapos, vous risqueriez d'être grièvement accusé d'immoralité. Enoncer une vérité qui dérange peut coûter cher. Le prophète Jérémie, vers la fin de l'époque du Premier Temple, en avait fait les frais, emprisonné parce qu'il en prédisait la destruction. «Comment oses-tu dire que le Temple va être détruit en raison de nos fautes? Quelles fautes? Oiseau de mauvais augure.»

Choqués, sans plus

Cependant, si l'opinion est choquée, elle ne s'en formalisera pas pour autant. Les Juifs n'ont jamais eu droit à la considération des défenseurs des droits de l'homme. La célèbre Licra française prend les antijuifs pour des antiracistes, ce qui a poussé même Finkielkraut à émettre de sérieuses réserves. Rien n'à attendre de ce côté-là. Et les Américains? Parlons-en. Les Américains n'ont pas débarqué en Normandie pour sauver les Juifs. Pire, des documents déclassifiés montrent qu'ils ont refoulé des navires bourrés de réfugiés juifs[6].

Le problème, c'est que le comportement du gouvernement Netanyahou qui n'a pas le choix banalise la haine et normalise les mauvais traitements contre les Juifs. Choqué? C'est vrai au fait, mais pourquoi? Aucun dirigeant d'aucun pays n'a été outré, ni n'a condamné, critiqué, cette répétition de l'un des traitements inhumains que les Juifs subissaient jadis en Europe ou ailleurs. Après tout, si les antisémites n'ont plus besoin de taper sur les Juifs parce qu'il y en a qui s'en chargent, que voulez-vous que l'on fasse? On oublie que sous cape, cette Europe libre n'y est pas complètement pour rien[7]. L'opinion non seulement s'en accommodera bien vite, mais elle trouvera ce fait normal. Les plus antijuifs doivent déjà bien rire : «Eh, regardez! On n'a plus besoin de taper sur les Juifs, ils s'en chargent!»

Un documentaire de la télévision israélienne sur les Juifs de Tunisie pendant les heures noires de la deuxième guerre mondiale démonte l'un des principaux clichés solidement incrustés dans les consciences mais inappropriés. Le journaliste n'y coupe pas. Interrogeant un homme âgé qui avait vécu en Tunisie, où plus de cent personnes, surtout parmi les hommes réquisitionnés pour le travail obligatoire, ont été tuées par les nazis, il l'interroge : «Donc, vous avez été vous aussi victimes de crime contre l'humanité?» On est tellement rodés par cette pensée rabâchée que la réponse du vieil homme semble avoir à première vue quelque chose de risible. «Vous n'y êtes pas. C'est un crime de l'humanité contre les Juifs.»

Leibowitz avait donc tort. Cette extériorisation de tous les mauvais traitements subis par les Juifs des centaines d'années durant, doit servir de signal d'alarme au pays d'Israël, afin qu'il ne fasse pas subir aux Juifs ce que l'Allemagne leur a fait subir, ainsi que, par extension, bien d'autres nations. Et nous n'avons pas parlé de l'expulsion de tous les Juifs manu militari en 1948, partout où l'occupant jordanien n'a pu être délogé, surtout à Jérusalem.

© Yéochoua Sultan

 

[1] L'intellectuel israélien Yeshayahou Leibowitz, très médiatisé, disparu à la fin du siècle dernier, se pose en philosophe et moraliste. Il défend que si les Juifs en exil n'ont pas fait preuve de l'usage de la force, c'était en raison d'un motif non pas dû à sa haute moralité mais purement circonstanciel.

[2] Voir le Chasseur et le rabatteur.

[3] Lamentations IV, 30.

[4] La Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, International Holocaust Remembrance Day est une journée du souvenir de l’Holocauste et de prévention des crimes contre l’humanité instituée à initiative des ministres de l’Éducation des États membres du Conseil de l’Europe en octobre 2002 et suivie par l'Organisation des Nations unies. Par une résolution intitulée « Mémoire de l’Holocauste » adoptée le 1er novembre 20051, l’Assemblée générale a décidé que les Nations unies la célèbreraient chaque année, le 27 janvier, à la date d’anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz2. Sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Journ%C3%A9e_internationale_d%C3%A9di%C3%A9e_%C3%A0_la_m%C3%A9moire_des_victimes_de_l'Holocauste

[7] Nous le traiterons plus en profondeur par la suite, bn.

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