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Réflexion sur Israël et la civilisation occidentale

Chef d'Etat ou de guetto

Une question, voire une polémique, qui refait souvent surface tourne autour des voyages, qui ont pris la tournure de pèlerinages, en Pologne, dans les camps de concentration. En Israël, d'où partent la majorité des participants et organisateurs, tout ce qui touche à la culture se rapproche de près ou de loin à un acte religieux. Aussi, la figure d'Herzl, que tout le monde peut contempler sur la route principale d'Herzliyya, est-elle bidimensionnelle,  pour ne pas faire d'un homme, tout illustre autant qu'il soit, une statue, de plein relief.

Ces déplacements ne font pas exception à la règle. Se souvenir du tort incommensurable qu'Amalek a causé à Israël, non seulement à la sortie d'Egypte mais à toutes les générations, est un commandement de la Torah. Seulement, la proximité contextuelle entre le souvenir et l'anéantissement d'Amalek a donné lieu à une importante recherche halakhique consistant à établir si ces deux éléments consistent en deux commandements séparés, auquel cas l'un peut être observé et valide même si l'autre n'est pas suivi, ou alors s'agit-il des deux aspects d'un même commandement, auquel cas les visites susnommées seraient dénuées de sens.

Ramener la finalité de ces déplacements à l'observation d'un ordre de la Torah consiste profondément à s'interroger sur ce qu'apportent ces derniers et sur ce qui en résulte sur les plans spirituel et concret. Donc, de quelle manière ces voyages influencent-ils la conscience israélienne ou juive en générale? Quelle empreinte en reste-t-il?

Certes, a priori, sous un certain angle du moins, ces voyages peuvent présenter l'avantage d'aider le peuple d'Israël à se renforcer dans la conviction qu'il ne peut faire confiance à aucun autre peuple, puisque la tragédie la plus terrible s'est produite non pas dans les périodes les plus sombres de l'intellect et de la conscience de l'humanité, ni dans des pays réputés pour leur sauvagerie – où quand il y a mille Juifs c’est un exploit d’humanité – mais qui plus est après la révolution des Lumières et l'émancipation dans les plus grands pays d'Europe, et après que les Juifs eurent reçu l'égalité des droits, y compris dans cette Allemagne qui la leur accorda  finalement en 1869.

Pour vivre en paix, et pour vivre tout court, Israël a donc intérêt à ne pas fixer sa conduite propre en fonction de ce que les nations attendent de lui, puisque, comme l'histoire l'a trop souvent démontré, agir selon ce qui fait plaisir aux autres et renoncer à son identité propre et à ses intérêts n'a pas renforcé l'amour de celles-ci pour lui; c'est le moins qu'on puisse dire. Or, cette singularité consistant à savoir garder ses distances, et ne pas être à l'écoute exacerbée des mentalités, des paroles et des attentes des nations, est mise en exergue précisément par le pilier incontournable de la culture juive par excellence, c'est-à-dire la Torah, avec un prophète non-juif, Balam, qui bénit Israël en disant: «Voici! Un peuple séjourne seul ; et des nations, il n'en a cure».

Bien plus tard, une décision dramatique du roi David peut servir de preuve à ce principe, et nous montre bien qu’il ne fait aucune confiance dans les peuples qui l’entourent, ni en situation de guerre, cela va de soi, ni même de paix. Dans le dernier chapitre de II Samuel, la colère divine s’enflamme contre le roi qui décide de procéder au dénombrement du peuple. Or, le compte ne s’est pas fait conformément à l’ordre qui interdit d’y procéder directement, mais de passer par une quête où chacun apporte la cotisation d’un demi-sicle. Le prophète Gad informe le roi qu’il ne lui reste pas d’autre alternative que de se résoudre à opter pour un châtiment choisi entre trois : sept ans de disette, trois mois de défaite devant les armées ennemies, ou trois jours de peste. Bien que résigné, le roi ne peut énoncer clairement ce qu’il a décidé. «Mieux vaut tomber dans la main de D. que de tomber dans la main d’un homme, car Sa miséricorde est grande.» (II Samuel 24, 14). Trois jours de peste s’ensuivent. C’est en effet la seule possibilité de ne pas dépendre du bon ou mauvais vouloir d’autres nations, ni en tombant devant elles, ni en essayant de les amadouer pour obtenir de la nourriture et d’en discuter les conditions. Ce choix pénible n’est absolument pas soumis à une tierce influence : pas de médecins ni de remède à quémander, ni de victoire chez un ennemi qui garde ses distances par crainte d’être contaminé. Le texte laisse entendre que le choix de David fut le bon, puisque l’affaire se termine sur l’arrêt du châtiment et la localisation de l’emplacement du Temple : «Le messager divin étendait la main vers Jérusalem (…) lorsque D., ému de cette calamité, di à l’ange qui décimait le peuple : « Assez ! Retire maintenant ta main. L’ange ( …) se trouvait près de l’aire d’Aravna, le Jébuséen.» (Idem, id. 16. D’après la traduction du Grand Rabbin Zadok Kahn). Le bras étendu de la Haggadah de Pessah reprend cette image : «Et avec un bras étendu, c’est le glaive, comme il est dit : « Son glaive nu à la main, étendu contre Jérusalem » (Magguid, traduction du rabbin David Berdah).

Si Israël retient bien la leçon impérissable qu'il ne peut faire confiance à personne – ce qui ne signifie pas qu'il doive vivre en autarcie mais qu'il comprenne que les relations économiques ne sont pas suscitées par l'amitié mais par les intérêts uniquement – alors il ne tombera pas non plus dans les pièges cachés derrière toutes sortes d'exigences «pour son bien», y compris voire surtout américaines, qui se traduisent en actes suicidaires dès que le pouvoir juif se dit qu'il n'a d'autre choix que de se soumettre au nom de l'amitié.

En revanche, si les visites à Auschwitz doivent le rendre soumis, et servir d'avertissement pour lui dire: «Juif! Méfie-toi! Regarde ce que nous avons fait de tes semblables et ce que nous ferons de toi si tu lèves trop haut la tête!», leur effet devient immanquablement nuisible, et ne font que maintenir un peuple bien trop longtemps et terriblement pourchassé dans sa hantise et son désarroi.

Ce qui incite à penser que la deuxième possibilité risque d'être malheureusement la plus prépondérante des deux, c'est une seconde question, dérivée de la première et qui se cache derrière elle. Le Premier ministre se sent-il à la tête d'un pays libre, souverain et indépendant, ou alors se sent-il investi du rôle de chef de rien de plus qu'un ghetto, dont l'action la plus louable à laquelle il puisse aspirer ne serait que de limiter les dégâts?

Quand on voit de quelle façon il traite ses habitants, ses concitoyens, en exigeant d'eux de se soumettre, notamment en Judée-Samarie, à des démarches administratives à n'en plus finir, alors que ses ennemis envahissent littéralement sa terre, on peut s'inquiéter sans complaisance sur la nature profonde de la motivation qui répondra aux deux questions qui se rejoignent (donc toujours: l'effet des voyages en Pologne et son sentiment en tant que dirigeant).

Ces questions débouchent sur une énigme difficile à première vue à résoudre. Les versets bibliques garantissent que la terre d'Israël ne peut fructifier et être vivable qu'en présence de ses enfants. L'histoire a confirmé ces prophéties, et les écrivains et voyageurs européens le confirment de leurs témoignages. Alors, comment est-il possible que ce soit précisément à l'époque du grand retour d'Israël sur sa terre et de sa restauration que ses ennemis en occupent des pans de plus en plus vastes sans que le désert ne les menace? La réponse effarante et sans complaisance est que l'Etat juif, de ses propres mains, ou du moins de celles de ses dirigeants, soutient de ses deniers les entités qui ont juré sa perte et empêche leur éradication d'une terre qui ne peut fleurir que pour ses enfants. Il y a donc une corruption de la bénédiction accordée à Israël pour non  seulement empêcher ses citoyens naturels de vivre où bon leur semble, mais pour la détourner, exactement comme on détourne par une déviation l'eau qui coule naturellement sur une plaine, et la donner à ses ennemis.

Et c'est là qu'est la plus grande tare héritée de l'exil: vouloir plaire et faire plaisir à ses ennemis en bafouant ses propres frères, en les faisant passer pour des moins que rien, en raison de la conviction profonde autant que chimérique que cette piètre attitude changera les ennemis en amis. Cette tare était fortement imprégnée dans les mentalités de nombreux Juifs européens des années 1800, qui ont commencé par renier leur foi sous prétexte que c'était à cause d'elle qu'ils ne parvenaient pas à plaire aux non-Juifs, et elle continue aujourd'hui, quand, dans la même optique, on est tombé dans le travers d'avoir voulu parler avec des ennemis qui ont délié leur langue venimeuse pour dire à Israël ce qu'il comptait faire de lui. Or, s'entêtant et ne voulant pas comprendre, on a répondu mollement à des ennemis venimeux qui ont avoué sans la moindre honte que la paix ne serait pour eux obtenue qu'avec le démantèlement total de l'Etat, en l'inondant de millions de leurs semblables élevés dans de véritable parcs en tant que réfugiés éternels, grossissant et dégénérant de génération en génération. Le jeton aurait dû tomber, pour reprendre cette fameuse expression idiomatique israélienne, c'est-à-dire qu'on aurait dû comprendre. Mais non, les dirigeants israéliens ont simplement répondu le plus sérieusement et naïvement possible que cette clause, dite du «retour des réfugiés», ne pouvait être acceptée par eux car elle signifierait la fin de l'existence de leur pays, comme si les ennemis ne l'avaient pas exigé sciemment et comme s'ils ne l'avaient pas compris avant.

Les Sages d'Israël avaient prévu la rédemption sans vouloir y assister. «Qu'elle vienne et que je ne la voie pas», affirment Oula et Raba (Sanhédrin 98b). Cette vision, qui ne fait pas l'unanimité, invoque les problèmes qui l'accompagneront. Or, quoi de plus invraisemblable que de voir des Juifs se voir empêcher de redevenir Judéens par leurs semblables, après un exil aussi interminable?    

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