Réflexion sur Israël et la civilisation occidentale
Israël : le coup d'Etat de la junte judiciaire est-il devenu une évidence ?
Qui est le sage? nous interroge la Michna dans les Maximes des Pères (4, 2). Et de répondre : quiconque apprend de tout homme. Cela ne veut pas dire tout de tout homme, mais que de chacun il peut y avoir quelque chose de sensé à écouter ou à retenir. Certains juristes qui s'expriment publiquement sont à même de nous fournir sinon des informations du moins une certaine vision de ce qui se trame. Nous allons nous pencher ici sur une analyse qui vaut le détour, celle du juriste Ilan Tsion[1].
Tout n'est pas bon, dans les opinions de cet avocat. Elles transparaissent de sa personne à la manière d'un clair-obscur. D'une part, il revendique la souveraineté du peuple via ses élus et la liberté de ces derniers de ne pas répondre aux convocations du tribunal, pas seulement en qualité d'accusés mais aussi de témoins, puisqu'un élu qui s'assujettit aux juges assujettit avec lui le peuple qu'il représente et met ainsi en mauvaise posture le principe même de la démocratie ; mais d'autre part, il s'est montré spontanément réticent aux déclarations du président américain qui, ayant compris que jamais les Juifs n'auraient la paix ni même la sécurité avec de tels voisins, suggéra dès son investiture que ceux-ci devaient déménager pour d'autres contrées. En s'affichant en faux, lorsqu'il déclare que l'on ne peut pas comme ça renvoyer des gens de leur terre, il contredit sa première approche, faisant du peuple d'Israël dont il défend la légitimité de la souveraineté un peuple apatride, car si cette terre serait la patrie d'autrui, le Juif ne serait alors qu'un vil usurpateur, et si Gaza deviendrait la propriété de l'envahisseur arabo-musulman uniquement par l'imposition de la violence de sa forte présence, quel principe essentiel serait donc censé justifier un statut différent du reste du pays?
L'une de ses idées, plus ancienne, tout aussi contestable, consiste à exiger du grand public de ne plus participer aux élections. Son raisonnement est le suivant : puisque la Knesset n'a plus qu'un pouvoir de façade, toujours remis en doute et d'office limitable, l'électeur doit montrer qu'il n'est pas dupe en arrêtant de jouer le jeu. Là encore, on peut relever une contradiction. En effet, M. Tsion soutient que les juntes qui se tiennent illégitimement au pouvoir, dans les pays dictatoriaux, aiment donner le change en laissant entendre que le peuple serait avec eux, d'où la tenue d'élections aux résultats surprenants qui avoisinent les 100% d'approbation. Il suffit d'ailleurs pour répondre à M. Tsion de voir le résultat, en France, de la lutte passive citoyenne qui a très largement montré son désaccord vis-à-vis d'un système qui n'œuvre absolument pas pour le peuple quand, en avril 2022, est intervenu le plus grand absentéisme depuis cinquante ans, selon la presse, avec presqu'un tiers d'électeurs qui ne se sont pas prononcés au second tour. Mais qu'importe, le président élu en fait fi. Il est élu, c'est tout. Alors qu'en Israël, le tribunal a bien du mal à prétendre à une position équitable sur le plan du droit. Et c'est précisément parce que les gens votent qu'il est clair qu'il n'y a aucun consensus autour de lui.
Néanmoins, la dernière analyse de notre juriste vaut son pesant d'or[2]. «En fait, en Israël, nous explique-t-il, il y a une dictature judiciaire aux mains du système judiciaire, qui est totale dans la pratique… On peut citer en exemple l'une des dernières affaires, au sujet du licenciement du chef du Shin Beth, qui est un événement décisif dans la mise en place de cette dictature.»
Jusque là, on peut encore objecter : «Eh bien, le gouvernement n'a qu'à ne pas les écouter, puisque la loi stipule qu'il peut démettre de ses fonctions avant la fin de son mandat ce fonctionnaire sans aucun justificatif et sans le moindre délai». Ce qui est nettement plus préoccupant, c'est la définition qu'il donne du coup d'Etat réussi d'une junte militaro-judiciaire : «La dernière étape consiste à prendre le contrôle des forces de sécurité. En Israël, nous avons quatre systèmes qui incarnent les forces de sécurité : l'armée, le Shin Beth, le Mossad, et la police. Dans un pays démocratique, c'est le peuple qui est souverain. Il désigne un parlement, ici la Knesset, qui forme un gouvernement. Le pouvoir judiciaire se compose de fonctionnaires désignés par la Knesset et le gouvernement, qui définissent l'étendue de ses prérogatives quant à leur contrôle des décisions et autres démarches du pouvoir souverain. En cas de désaccord entre les élus et les juges, c'est la Knesset qui a le dernier mot. La Knesset peut promulguer une loi qui annule la décision de la Cour suprême, modifier le cadre de ses prérogatives, voire la remplacer par un nouveau tribunal. »
Tsion rappelle alors le rôle prépondérant du juge Aaron Barak dans ce coup d'Etat judiciaire, dont les prémices remontent à 1996, non sans le citer : «En 2003, ou en 2004, lors d'un congrès, à l'université de Bar-Ilan, il me semble, Barak avait alors déclaré : "Il est évident que le souverain, c'est le parlement. La Knesset est en droit d'annuler toute décision de la Cour suprême, voire la Cour suprême elle-même".[3] Mais en Israël, de fil en aiguille, par différentes méthodes, mensongères souvent, la Cour suprême est parvenue à prendre le contrôle des forces de sécurité. J'avais prévenu, il y a deux ans, lors d'une conférence devant le Forum du Café Shapira, avant le 7 octobre, que nous étions sur le point de subir un coup d'Etat judiciaire, sans que ne soit tirée la moindre balle. Comment? D'abord, il va y avoir une sorte de crise constitutionnelle, et alors, les chefs des forces sécuritaires feront allégeance à la Cour suprême.
À ce stade, dans les faits, le coup d'Etat sera accompli. Or le chef d'état-major et le chef du Shin Beth ont déclaré qu'ils obéiraient aux injonctions de la Cour. D'où la dictature, du fait que les juges ne sont pas des élus. Les quelques quinze juges, par leurs décisions, dirigent le pays selon leur bon vouloir. Mais il y a des étapes, c'est progressif et c'est la raison pour laquelle les gens n'y prêtent pas garde. Lorsque le Premier ministre a fait part de son intention de limoger le chef du Shin Beth, des recours ont été déposés. En démocratie, la Cour aurait dû tout de suite faire part de son incompétence en la matière. Or un arrêté provisoire a été émis. C'est un tournant décisif. Car à partir de cet instant, la Cour décrète qu'elle est en droit de remettre en question la décision du gouvernement, garantie pourtant par la loi. Cela fonctionne comme à l'armée, si un gradé de haut rang veut limoger un soldat de moindre grade et que ce dernier fasse appel. À présent, voyons comment le gouvernement a réagi. En dépêchant auprès de la Cour à chaque fois un avocat qui vient expliquer et justifier la démarche du gouvernement, même en lui signifiant qu'elle n'a pas l'autorité requise en chaque occurrence, on lui accorde dans les faits ce pouvoir. Mais quand le débat entre le gouvernement et le tribunal devient public, c'est à ce moment-là que tous ceux qui se tiennent aux commandes des forces sécuritaires comprennent que la seule autorité compétente pour les démettre de leurs fonctions, c'est le tribunal. Ils se sentent libres de refuser telle ou telle mission sécuritaire au gouvernement : "Vous ne pouvez rien contre moi".»
Tsion insiste sur l'aspect progressif, graduel, de la prise du pouvoir par le système judiciaire. Dans cette affaire du limogeage de Ronen Bar, le chef du Shin Beth, sa réponse n'est pas un verdict. On peut en effet se rassurer, puisqu'il a lui-même annoncé sa démission. Mais en insinuant qu'il aurait son mot à dire, en sous-entendant que le gouvernement n'aurait pas le pouvoir de se défaire de ce chef sécuritaire sans son autorisation, ce qu'il n'a pas l'air de contester, le tribunal agit sur les consciences dont il s'assure le formatage en douceur, tel ce pêcheur qui donne du mou pour ne pas rompre le fil. Tsion constate que les chefs d'état-major et du Shin Beth se comportent depuis différemment : ils expriment des points de vue stratégiques et politiques dans les médias, sans se gêner s'ils contredisent le gouvernement.
Tsion précise son point de vue : «Dans les faits, la Cour suprême a subordonné le gouvernement à l'autorité de la Conseillère juridique du gouvernement. Concrètement, c'est elle, le Premier ministre. Le Premier ministre, les ministres, les députés, ils n'ont plus aucune autorité. Lorsque Rothman[4] organise des symposiums, les invités se demandent si ce n'est pas de la perte de temps. »
En avril 18, dix étudiants d'une école préparatoire militaire de Tel-Aviv périrent dans une excursion[5], emportés par une crue subite, dans le lit de la rivière intermittente Tsafit. Après une longue période d'enquêtes et de procédure, le directeur de l'institution et son conseiller d'éducation ont été condamnés à sept ans de prison ferme, reconnus coupables d'avoir entraîné la mort par négligence.
Micha Cobi, ancien dirigeant du Shin Beth en retraite, dénonce l'attitude hors-la-loi de Ronen Bar, à la tête des services secrets intérieurs[6]. Il regrette également que Yoav Galant (ministre de la Défense récemment remplacé) et Hartsi Halévy (chef d'état-major récemment démissionnaire) soient devenus des «Kaplanistims» (membres du mouvement de contestation et de désordre politique) à la solde des Américains de Biden (récemment remplacé, décidément), et dont les revendications servent le Hamas. Leur allégation avançant que Netanyahou n'aurait pas parmi ses principaux objectifs l'intention de ramener les otages est une arme qui sert les terroristes. Il déplore également une mauvaise gestion de la guerre par les intéressés.
Revenons à présent au 7 oct. 23. L'explication par la surprise n'a pas tenu plus de quelques heures. La fausse information selon laquelle l'Iran aurait à distance neutralisé la réactivité de la barrière dite intelligente a été balayée dès que les premiers éléments d'agression massive filmés par des caméras de vision nocturne et relayés par les guetteuses ont été diffusés via Internet. Raphaël Hayoun[7] est monté lui aussi au créneau. Puis l'opinion a été captée par l'idée d'erreurs d'appréciation, de l'illusion de n'avoir vu que de l'esbroufe chez les terroristes, ou une sorte de fanfaronnade ou d'énième exercice, par l'idée répandue chez les responsables sécuritaires que les envahisseurs de la bande de Gaza auraient été trop effarés – dissuadés – à l'idée de nous agresser, qu'ils auraient eu trop à y perdre… donc de la fameuse ou fumeuse conception (Conne-tsep-tsia).
Dans son rapport, dans le cadre de l'enquête sur les pogromes, ou la journée de Shoah, ou autre, Monsieur Ronen Bar (à ne pas confondre avec Raymond Barre) s'est justifié en employant un terme savant[8] : «La préparation à déjouer une attaque est une préparation de niveau médian et secret pour ne pas créer une "mis calculation" (texto). Sur l'heure, il s'agit d'éviter une opération d'envergure de notre part afin d'éviter une "mis calculation" etc.» La journaliste de la Chaîne 14, Ayala Hassoun, explique qu'il s'agit d'éviter une escalade qui démarrerait à partir d'un malentendu : l'ennemi risquerait de prendre notre soudaine vigilance renforcée pour une agression et de provoquer par sa mauvaise interprétation une véritable situation de guerre.
«En fait, Ronen Bar nous met en garde, dit-elle : "Faites surtout très attention que le Hamas ne se figure pas que nous nous apprêtons à l'attaquer, ce qui le pousserait à nous attaquer.» Les analystes militaires et/ou politiques présents sur le plateau de l'émission émettent aussitôt des avis mitigés. En admettant les craintes de Bar, et en évitant d'apporter des renforts près de la barrière, on aurait pu au moins réveiller les soldats, les équipes de surveillance et d'intervention des kibboutzim, mettre fin à la fête champêtre, surtout lorsque l'on sait qu'ils ont été surpris dans leur sommeil. On peut rappeler aussi qu'à Pessah, six mois plus tôt, on avait déjà supputé une attaque d'envergure et que, les dispositifs militaires ayant été renforcés, les terroristes s'étaient d'eux-mêmes dispersés.
En principe, une enquête n'écarte a priori aucune piste. Qu'il s'agisse d'affaires réelles ou de scénarios qui s'en inspirent pour des séries ou romans policiers, ou encore du Cluedo, tout le monde est suspect. Dans notre affaire, aucune possibilité de motif ne peut être écartée d'emblée. Erreur d'appréciation, volonté d'éviter une guerre généralisée, agent simple ou double au profit de l'ennemi, chargé par lui de neutraliser nos capacités de défense de l'intérieur à partir des plus hautes fonctions…
Il serait injuste de ne viser que ce pauvre Bar. Quand le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, doit faire face à une ordonnance d'enquête contre lui par le Procureur de l'Etat, Amit Aisman, qui lui reproche d'inciter à la haine contre l'occupant de Gaza[9] ; quand la Procureur de l'armée, Yfat Tomer Yérouchalmi, ordonne l'arrestation de soldats de Tsahal qu'elle soupçonne d'avoir maltraité des pogromistes, se défendant en arguant que nous serions obligés de tenir compte de la CPI[10] qui nous surveille (serait-elle une employée de la CPI?). Pendant qu'aucun des tueurs, brûleurs, etc., du 7 détenus chez nous n'ont eu ne serait-ce qu'un début de procès... Et ne parlons pas de M. Fuchs, alors commandant de la Région Sud, qui ose prétendre que le mieux pour Israël serait que le Fatah prenne la place du Hamas. Coluche avait un jour posé la question : «Quelle différence y a-t-il entre un pigeon?» Il faudrait d'abord définir le pigeon, ou le dindon (de la farce).
Mais pour juger de tout ce qui précède, d'abord, il faut un tribunal. Or, des soupçons, des rumeurs infondées (ou pas), prêtent à Bar et à la Cour une intention première, une conspiration destinée à faire couler Netanyahou, comme si les juges avaient couvert Bar : «Si ça se corse, ne t'en fais pas. On est là, il ne pourra pas te renvoyer de ton poste, et encore moins te mettre en prison.»
Il urge de mettre fin à ces rumeurs, même si peu sont ceux qui la prennent au sérieux. «Des juges et des policiers tu érigeras dans toutes tes portes» (Deutéronome XVI, 18). Il faut un tribunal qui déterminera si notre gente sécuritaire doit être lavée de tout soupçon pour avoir juste souffert d'une perception perturbée de la réalité, ou si elle travaillait avec préméditation pour nos ennemis.
Dans le meilleur des cas, si les responsables de l'excursion précitée ont pris sept ans, si la justice ne pèche pas par : deux poids deux mesures, combien devraient-il prendre?
Mais en attendant, qui est enfermé, pourchassé, enfermé dans un cachot ou assigné à domicile avec un bracelet électronique? Elie Feldstein[11], Ari Rosenfeld[12], etc. qui ont transmis au gouvernement des documents militaires qui lui revenaient de droit. Et en attendant, il est toujours interdit, sous peine de tortures, de révéler le nom de l'espion qui avait infiltré les rouages du haut commandement, en cette période du 7 oct. 23[13].
Alors, faut-il donner raison au juriste Ilan Tsion?
[1] Voir 5784 la brisure des conceptions, page 142/3. Notre juriste entretient des relations avec le gouvernement, notamment avec Yariv Lévin, ministre de la Justice.
[3] Idem minute 4.
[4] Simha Rothman, le parlementaire chargé de la réforme judiciaire.
[5] https://he.wikipedia.org/wiki/%D7%90%D7%A1%D7%95%D7%9F_%D7%A0%D7%97%D7%9C_%D7%A6%D7%A4%D7%99%D7%AA
[7] Voir 5784, la brisure des conceptions, p. 105.
[9] Voir 5784 page 278.
[10] Idem p. 279.
[11] Elie Feldstein https://www.makorrishon.co.il/opinion/797713/
[12] Lien : Rosenfeld : https://www.youtube.com/watch?v=Um9vHNBUy3E
[13] Voir les investigations du commissaire de police en retraite, Avi Weiss.