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Réflexion sur Israël et la civilisation occidentale

Le voyageur du temps, un conte de Pourim

«C'est incroyable! Avec la levée généralisée de la censure, les gens n'ont plus les pieds sur terre. On peut leur faire gober n'importe quoi! » dit Jérémie à son voisin et ami d'enfance de la région parisienne, en voyage à Jérusalem. «Je trouve ça plutôt bien. Aujourd'hui, dès qu'une question se pose, on peut se faire une idée beaucoup plus juste, comme pour des affaires de conflits, d'accusations en tous genres, justes ou calomnieuses, ou des affaires de corruption aux plus hauts degrés de la politique ou de l'Etat. Par exemple, pour la guerre de Kippour, Israël avait été surpris. Cette version est restée la seule plausible jusqu'au 7 octobre, pour lequel non seulement les gens n'ont pas été dupes quand on a voulu leur refaire le coup de la surprise, mais qui a jeté un regard nouveau par des révélations totalement étouffées à l'époque de cette guerre, ça fait cinquante ans», objecta Michaël.

«Je ne dis pas, là je suis d'accord, mais il y a des sujets, des pans entiers de l'information, qui ne bénéficiaient d'aucune crédibilité auprès des instances officielles ni des médias. Au maximum, c'était réservé aux rubriques liées à la science fiction. Maintenant, des sujets complètement farfelus rivalisent avec des documentaires géopolitiques ou sur la nature», insista Jérémie. «Quoi, par exemple?» «Ben, c'est simple. Connecte-toi sur n'importe quel site qui met en ligne des films et tu verras que les ovnis, les extraterrestres et autres délicatesses figurent sur les listes des titres proposés à égalité avec des reportages sur tel chanteur ou compositeur, ou telle affaire qui concerne des découvertes ou des constats médicaux.» «Ah, je vois. Mais arrête de dramatiser. Excuse-moi, mais en l'occurrence, c'est toi qui manques totalement de sens des nuances. Tu peux tout simplement choisir entre un programme instructif ou divertissant, ou passer de l'un à l'autre. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Le cinéma n'avait-il pas déjà commencé? Outre le côté documentaire ou fictif, on avait déjà bien des extravagances. Par exemple, même sans rien comprendre aux trucages, on sait très bien que Superman ne volait pas vraiment, malgré sa cape, ou que les vampires si réels avec Dracula sont faux et archifaux.» «Ben, si tu parles de nuances, faux ou pas faux, rappelle-toi qu'on aimait bien couper par la lande en remontant de la gare RER, le soir, et qu'après avoir vu le film du loup garou de Londres, pendant trois bons mois, on s'est tapé des kilomètres à pied rien que du fait que le décor super angoissant du film ressemblait comme deux gouttes d'eau à cet espace souvent brumeux entre le parc et la ville.» «D'accord, Jérémie, je ne dis pas. Mais on savait très bien au fond qu'on n'allait pas se faire attaquer par cette créature légendaire, quoi qu'il arrive.» «Bon, écoute, je suis prêt à tenter une petite expérience.»

Un voyage d'étude les avait amenés à Jérusalem, pour un colloque de pensée philosophique juive. Ils étaient arrivés en Israël à la veille du nouvel an des arbres, et leur première activité fut de participer à un acte de reforestation sur l'une des collines alentour. «Est-ce que tu comptes te déguiser cette année? Rappelle-toi que nous restons jusqu'à après Pourim» demanda Michaël à Jérémie. «C'est vrai que le rouleau d'Esther conclut par le retournement de situation, quand les ennemis potentiellement tueurs ont été pour finir éliminés. Mais j'ai beau lire et relire la halakha, je ne vois nulle part écrit qu'il y aurait une obligation de se déguiser.» «A ta guise, surtout ne change rien à tes habitudes», le conforta Michaël. «Attends, je n'ai pas terminé. Tu te rappelles que je t'ai parlé d'une expérience que je voulais mener par rapport à l'influence médiatique due à la libéralisation effrénée de l'information?» «De toute façon, je ne suis pas d'accord avec toi à ce propos. Est-ce que tu sais, puisque tu parlais des ovnis, que les autorités américaines ont déclassifié et autorisé à la publication toutes sortes d'histoires d'observations de phénomènes étranges et inexpliqués?» «Peut-être, mais ça n'empêche pas. Maintenant, si ça ne t'intéresse pas, je ne vais pas te soûler avec mon idée. Bon. J'ai retrouvé dans un tiroir, un peu avant notre voyage, un petit sachet avec des jetons de téléphone israéliens, tu sais, les "assimonim".» «Ah, mais, tu sais qu'ils n'ont plus cours de puis des années?»

«Justement. C'est bon, je suis quand même au courant. Ça doit faire plus de trente ans. Donc, je vais me déguiser en voyageur du temps. Tu vois mon idée, ou je t'explique?» Michaël hésita une seconde : «À vrai dire, non.» «Alors écoute. Il me faut un pantalon élargi au niveau des mollets, et une chemise à carreaux "moderne" virile, très échancrée, avec torse apparent.» «Tu rigoles, les pattes d'éléphant datent d'au moins encore vingt ou trente ans en arrière.» «Oui, mais si je m'habille style années 70/80, on ne verra pas la différence. Les habits n'ont pas tellement évolué en trente ans, mis à part qu'au lieu d'être confectionnés en Europe, ils viennent de Chine ou du Bangladesh. Et puis, qui te dit que je suis un voyageur de la fin de l'ère des assimonim? Je veux bien passer pour un voyageur du début de cette période, dans les années cinquante, sauf erreur…»

***

«Maintenant, suis-moi et observe. Regarde, tu vois ce mur qui n'a pas bougé malgré tous les travaux de rurbanisation juste en face du quartier piéton? Il y avait ici une rangée de téléphones qui fonctionnaient avec des assimonim. Je vais me placer là, tu vas voir… M. s'il vous plaît! Je voudrais téléphoner…»

La première expérience ne fut pas concluante. L'homme tira de sa poche un téléphone portable dernier cri : «Allez-y. Mais faites vite, je suis pressé.» Jérémie brandit un jeton : «Je peux vous payer avec ça la communication?» L'homme eut une sorte de ricanement, remit son téléphone en poche et accéléra le pas. Michaël se fit réprobateur : «Surtout, ne dis à personne que je suis avec toi. Tu vas nous… te couvrir de ridicule.» «Attends un peu. Mon travail est scientifique, on ne tire pas de conclusions à partir d'un seul échantillon.» Michaël s'éloigna de quelques pas. Cette fois, Jérémie montra ses assimonim à une dame d'un certain âge. «Mon pauvre ami, s'épancha-t-elle. Seriez-vous tombé sur la tête? De quelle clinique vous êtes-vous échappé?» Jérémine ne sut ce qu'il devait improviser. Il respira quand sa bienfaitrice s'éloigna, alors que son visage exprimait une profonde peine. Un homme d'une quarantaine d'années lui répondit : «Descendez jusqu'à l'intersection, plus bas, rue Jaffa. Remontez la rue Strauss, puis prenez la première à droite.» «Et là, je trouverai un téléphone normal, à jetons?» «C'est ça…»

Michaël se fit suppliant: «Mais arrête, tu sais où il voulait t'envoyer? Il y a là-bas un hôpital.» «Psychiatrique?» «Non, pas nécessairement. Mais ils peuvent t'y orienter.» «Alors là, excuse-moi, mais c'est toi qui devient un voyageur du temps! Cela fait plus de dix ans que cet hôpital a fermé.» «Lis les journaux, il a juste été intégré à un autre hôpital beaucoup plus grand. Arrête, si tu continues, tu finiras à l'asile ou dans une foire à monstres. Tu prends les gens pour des imbéciles, et ils agissent comme un miroir en te forçant à reconsidérer ta propre image. Le mieux pour toi, c'est qu'ils comprennent tout de suite la plaisanterie, mais tu prends ton rôle trop au sérieux. Donc, tu les influences, pas en leur faisant croire que tu serais un voyageur du temps, mais un évadé de clinique spécialisée.»

Jérémie néanmoins ne renonça pas si facilement. «Ecoute, je m'en vais, lui dit Michaël. N'oublie pas que le repas de Pourim va commencer. Ne tarde pas trop, si tu t'en sors.»  

À son ultime tentative, Jérémie finit par provoquer une sorte d'attroupement. Il comprit qu'il était encore temps de s'en tirer indemne. Dès qu'il eut commencé à s'éloigner, le groupe dont il craignit un instant qu'il lui emboîtât le pas se dispersa. Il reprit à pied le chemin du centre d'étude. Il se rappela qu'une toiture légère abritait des feuillets hebdomadaires judaïques distribués gratuitement. Il en consulta machinalement le titre, avant de poursuivre sa route. Soudain étonné, il s'arrêta net. «Comment? Si je suis fin prêt pour le soir du Seder? Mais c'est dans un mois, le sujet du feuillet aurait dû porter sur Pourim?!» Il hésita à rebrousser chemin, puis il se dit : «Après tout, à quoi bon. Ce doit être mon imagination qui me joue des tours. Tel est pris qui croyait prendre.»

«Alors, ta petite expérience? Ҫa a donné quoi? Tu sais que je commençais à m'inquiéter pour toi? Vas voir le directeur. Il me semble qu'il veut appeler la police pour te chercher. Ah, ben le voici justement.» Un homme d'aspect rabbinique le considéra avec un grand sourire. «Donc, qu'est-ce que tu dis maintenant de ton expérience scientifique, qui me donne presque envie de rire? Reconnais pour une fois que tu n'es pas forcément toujours bien inspiré!»

«Écoute, je ne comprends sincèrement vraiment pas pourquoi ça n'a pas marché. Tu es d'accord avec moi que des gens sérieux et sensés à première vue ont gobé l'histoire des territoires contre la paix, alors que la logique la plus élémentaire exige que les frontières d'Israël s'agrandissent et que les ennemis soient éloignés le plus loin possible?» «Oui, et alors?» «Mais arrête Michaël, on dirait que toi aussi tu te mets à me prendre pour un fou. Les gens ont bien voté pour des politiciens qui ont cédé des territoires à des organisations terroristes et on connaît très bien la suite.»

«Ah, je vois où tu veux en venir! Mais là, ça a été le résultat d'un bourrage de crâne massif qui a duré un quart de siècle, entre la guerre des Six jours et les accords d'Oslo. Et beaucoup se sont mis de la partie : des experts militaires, des géopoliticiens qui n'ont pas l'air de rigoler malgré l'ineptie profonde de leurs idées. Alors, peut-être que tu n'as pas complètement tort. Les Américains viennent seulement de lever la censure sur les histoires d'ovnis, et les reportages en tous genres viennent seulement de se répandre sur les réseaux sociaux, qui sont aussi une nouveauté. Rendez-vous dans vingt-cinq ans. Alors, peut-être qu'on verra un peu partout des gens persuadés d'avoir rencontré des voyageurs de l'espace – des extra-terrestres – ou du temps – comme toi ; tout comme on a pu voir des gens croire sérieusement qu'armer ici les pires antijuifs garantirait l'avènement de la paix.»

Yéochoua Sultan ©

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