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Réflexion sur Israël et la civilisation occidentale

Comment la Cour suprême s'est crédibilisée aux yeux du grand public

Comment la Cour suprême s'est crédibilisée aux yeux du grand public

Secondée par les médias, la Cour suprême a induit plutôt que forgé le caractère du débat public israélien, entre les prérogatives et les rôles respectifs des pouvoirs exécutif et judiciaire. Tant et si bien que même les citoyens les plus traditionalistes et patriotes se sont imposé un frein : «On aimerait bien, mais si ce n'est pas légal, et puisque c'est la Cour qui le dit, autant laisser tomber. Les juges sont suffisamment instruits et professionnels pour définir les limites». Ce formatage explique comment, à première vue, il est possible sans s'insurger d'admettre que les juges pourraient être les gardiens et garants de la démocratie et de la liberté, alors qu'assez systématiquement, ils disqualifient et invalident des lois instituées par la Knesset, qui est l'expression légitime de la volonté du peuple.  

C'est en fait le résultat d'un long processus d'infantilisation du peuple et de ses élus, qui deviennent à leurs propres yeux des gens incultes, impulsifs, voire dangereux pour eux-mêmes. Ils ont besoin d'être protégés – pour ne pas dire camisolés de force – et les tuteurs sont tout trouvés. Le regard si caractéristique – l'expression, l'agencement des traits du visage – chez les juges, laisse suinter simultanément plusieurs sentiments : intelligence et perspicacité supérieures indiscutablement, mépris, paternalisme condescendant envers un enfant idiot, le tout conduisant à une mégalomanie de fait, à moins qu'inversement la mégalomanie ne soit antérieure et ait par voie de conséquence poussé les juges à se sentir supérieurs au bas-peuple, si bas qu'il ne peut être regardé que de haut. Quelles que soient les places respectives de la cause et de l'effet, entre la soif du pouvoir et le mépris du peuple, leur relation est une symétrie parfaite.

À partir de ce constat, on peut répartir ces juges en deux sous-catégories. Ceux qui se verront comme d'éclairés conseillers, mais qui éviteront d'imposer leur dictature, et ceux pour qui la démocratie ne peut être sauvée qu'en empêchant le peuple de suivre la direction que leur indiquent leurs pulsions et impulsions, paradoxe incontournable.

Pour le juge Aaron Barak, la scène politique se résume à un rassemblement d'acteurs hypocrites annonciateurs de catastrophes qui interviennent dans un système politique dont on ignore aussi bien l'origine que la finalité. Il est donc clair pour lui que le système judiciaire a son mot à dire et doit trancher. Et c'est cette image qui s'est largement imposée au sein de l'inconscient collectif. Non seulement les juges ne sont pas impulsifs ni ne dérapent sur les pentes d'idées et de débats passionnels, mais ils sont de surcroît objectifs et professionnels, dans la mesure où ils se contentent de peser le pour et le contre par le seul prisme de la loi ; un peu comme cet arbitre de jeux de ballons de la cour de récréation qui éloigne tout individu qui prendrait son rôle trop au sérieux en menaçant les autres, donc l'ordre public. C'est la première catégorie.

L'autre catégorie pense à l'identique, à la différence près que si la voix des juges ne peut être entendue, elle ne saurait s'imposer par la force. Le Forum Israélien pour le Droit et la Liberté a exhumé de ses archives un vieux discours de Mme Ruth Gabison, professeur de droit, qui, bien que provenant de la même école que le juge Barak, était pour sa part pleinement consciente des dérives dictatoriales du précédent positionnement. Elle soutenait la séparation des pouvoirs, et était engagée dans la recherche d'un équilibre au sein de la société israélienne, ayant notamment rédigé la charte Gabison-Madan, en 2003, pour une bonne entente entre religieux et laïcs en Israël.

Rapportons-en succinctement quelques lignes : «Il est vrai que le tribunal est conçu de sorte que toutes ces manières grossières que l'on retrouve dans le système politique n'existent pas chez lui. Mais je me permettrais d'arguer que ce n'est vraiment, mais alors vraiment, pas suffisant. Bien qu'il soit indéniable, que le tribunal est moins soumis à l'Érôs, je ne pense pas qu'il en soit totalement dépourvu. Il est conçu différemment. Et c'est exprès. Je ne souhaite pas que la question de ce qui est bon soit tranchée par le tribunal, pas plus que dans un bureau de philosophes. Je ne veux pas que cette question soit résolue dans un quelconque lieu mû par une prétendue vision globalisante et universaliste… Ce que je veux, c'est que, dans ma démocratie, dans ma société, personne ne soit laissé pour compte. Et la seule façon d'y parvenir à ma connaissance, c'est de mener des élections libres. Cela nous pose un problème… Il se peut que toute la question de la démocratie suscite un immense point d'interrogation. Mais il est impossible de corriger l'idée démocratique en soutenant : "Nous allons retirer le pouvoir de décision dans nos affaires les plus importantes, du public, des partis politiques, des dirigeants politiques ou religieux, du débat public, de la souveraineté d'une partie de ce public. Tout cela, nous le réduirons au silence, et nos combats, nous les mènerons au tribunal"… Nous nous dirigeons vers l'ultime question : "Qu'est-ce qui relève de l'autorité du tribunal de grande instance? Le tribunal n'est pas lié au peuple, il déchiffre ce que dit le peuple à l'aune de ce qu'il pense, il lit ce qui est bon d'après ce qu'il pense. Je ne suis pas d'avis que toute la sagesse pourrait se trouver dans les mains du tribunal de haute instance…  »

Elle reconnait néanmoins : «J'ai toujours été plus proche des valeurs du tribunal de haute instance, à cause des valeurs d'une partie des forces politiques qui ont le vent en poupe dans la société israélienne. Mais ça ne m'a jamais empêchée d'être persuadée qu'il est strictement interdit, dans un régime démocratique, qui mesure sa force, de déléguer la force de décision dans les questions les plus graves de l'Etat d'Israël, comme soutenir le caractère de l'Etat d'Israël en tant qu'Etat-nation du peuple juif etc. Cette question n'est pas une question juridique. Il est hors de question qu'elle soit tranchée par le tribunal et il est vital qu'elle continue à faire partie du débat houleux entre la droite et la gauche, les laïcs et les religieux… »

De fil en aiguille, Aaron Barak a durci de plus en plus sa vision des choses. Mme Gabison n'est plus là pour le contredire. Les développements ont donné une place de plus en plus prépondérante à la Cour suprême, comme si la Knesset était son petit enfant qui avance dans la vie sous la surveillance et le bâton, dans tous les sens du terme, qui la corrige au moindre faux pas ou considéré comme tel par sa tutrice, sont détaillés dans le livre "5784, la brisure des conceptions",  la révolution des maîtres du droit s'étalant de janvier 64 à l'année 92, du parlementaire Hans Klinghoffer dont la proposition de loi visant à limiter les prérogatives de la Knesset fut rejetée, puis dont l'idée fut reprise par le député Amnon Rubinstein environ trente ans plus tard, avec le but avoué de «restreindre le parlement»[1].

Les juges, en bons prestidigitateurs des droits de l'homme dans son universalité jettent de la poudre aux yeux. S'ils prétextent souvent qu'ils sont contraints de tenir compte de tout requérant sur un pied d'égalité sans différence d'appartenance nationale, ils écrasent du talon les droits de leurs propres frères non pas en tant que revendicateurs de leurs droits sur la terre d'Israël puisque membres du peuple d'Israël, mais précisément en tant que simples êtres humains, quand ni à Goush Katif en 2005 ni au quartier dit de la Oulpena en 2012 leur qualité d'hommes ne joue en leur faveur contre le véritable nettoyage ethnique, pour reprendre cette notion à la mode, dont ils font l'objet.

Et c'est possiblement pour toutes ces raisons que toutes leurs manœuvres et manigances peuvent être assimilées à l'Etat profond, dans le sens où il opère en douce, à l'abri des regards, dans les soubassements de la vie de la cité, de la politique à proprement parler. Les juges peuvent se permettre de discréditer toute position saine du moment qu'elle est défendue par un politicien, qui, par contrebalancement, n'est motivé par rien de plus qu'une politique politicienne, donc par sa survie sur la scène à plus ou moins long terme. Être juge permet évidemment de se rengorger, tandis que la qualité de politicien doit être assumée en faisant fi de la honte qu'elle implique.

Pourtant, le 7 octobre, en dépit des risques que la mentalité générale soit ramenée au 6, a fait remonter le deap state à la surface, tel un nautilus qui aurait été poussé vers la surface depuis la vase où il était enfoui, ou tel ce célèbre assassin sourd (Babylas de Gotlib) qui s'était assuré qu'il allait commettre son forfait dans un environnement hautement sonore, au beau milieu d'un vaste chantier qui devait couvrir ses coups de feu, mais qui par une erreur d'étourderie opéra un jour férié. La Cour suprême ne peut plus se cacher dans son halo de recherche de la justice ; cette façade s'est totalement effondrée. L'Etat profond flotte à la surface, privé désormais des artifices du mimétisme sur lequel il a toujours compté.

La plus flagrante de toutes leurs démarches restera certainement à ce jour le soutien indéfectible qu'ils apportent à Ronen Bar, le chef du Shin Beth. C'est là qu'apparaît leur esprit de clan poussé à l'extrême. Au départ, on aurait pu comprendre qu'en tant que progressistes, universalistes, et autres qualificatifs qui à leur grand dam sont en train de passer de mode, ils soutiennent leur comparse qui fera tout pour leur servir de garde-boue, la boue étant pour eux toute tendance pour Israël à reprendre possession de sa terre. Des chefs militaires, du renseignement, qui pensent comme eux ne leur posent aucun problème, qui veulent défendre Israël mais au prix d'une guerre perpétuelle, sans jamais débarrasser le sol de l'occupation ennemie et hostile ; des chefs qui sont prêts à engager des opérations militaires musclées, mais à ne pas en garantir les résultats, même s'il faut reprendre en boucle des territoires déjà repris, et causer des pertes humaines au sein de notre armée. De même, tout n'est pas bon chez Brick, ce général en retraite qui a produit son rapport éponyme en dénonçant la réduction progressive de la puissance de Tsahal[2]. Du coup, sa dénonciation de la gauche sert la gauche, car il soutient que vu qu'on n'a plus assez de ressources humaines au sein de l'armée, il serait inhumainement impossible de maintenir notre présence dans les territoires débarrassés de la menace par notre avancée. C'est entièrement faux. Un terrain repris peut être gardé par une présence humaine qui non seulement n'est pas obligée d'être très bien entraînée, mais pourrait aussi bien être civile. Mais quand le mot d'ordre est de ne surtout pas renouveler le ychouv[3], alors il ne reste plus qu'à tourner en rond.

Quoi qu'il en soit, pour revenir à Ronen Bar, normalement, il doit y avoir des limites. D'accord, tu es de notre bord, tu fais tout pour ne pas reprendre Gaza et pour faire en sorte que nous nous contentions d'y passer, mais là, tu as gravement dysfonctionné, donc il est préférable que tu démissionnes. Il est doublement incompréhensible que les juges s'acharnent à défendre un incapable, dans le meilleur des cas, en supposant qu'il n'y ait pas eu d'intention préméditée dans le refus total de l'intéressé de tenir compte des avertissements multiples notamment des observatrices, mais aussi de l'annonce de la mise en fonctionnement des milliers de cartes téléphoniques Sim israéliennes à Gaza, pendant la nuit du 6 au 7 oct. On pourrait pour un peu se demander si ceux qui le soutiennent coûte que coûte ne seraient pas l'incarnation des forces du mal, de ce Erev Rav biblique et cabalistique venu s'opposer à la fin des temps à la rédemption. En tout cas, présupposer que l'homme a été victime d'une erreur d'appréciation n'est rien d'autre qu'une idée ou perception préconçue. Doublement donc, car la loi est claire : en cas de manquement et de perte de la confiance du gouvernement, celui-ci peut limoger sans aucune justification le chef du Shin Beth problématique ; à cause du 7 oct., d'abord, mais aussi par ce manque de détermination et de volonté d'en découdre avec l'ennemi. Pourquoi retrouver Sinwar a été si difficile pour le Shin Beth, alors que durant la même période, le Mossad a mené au Liban l'opération des bippers, et surtout l'élimination du chef du Hezbollah, et en Iran l'élimination d'Anyé, tandis que le président iranien se crashait (tout seul ou pas) avec son hélicoptère? Haïm Ramon, dinosaure de la politique israélienne et longtemps homme de gauche, vient d'intervenir dans les médias pour rappeler cette évidence ainsi que la position de Méni Mazouz, anciennement conseiller juridique du gouvernement.

La liste des motifs est longue. Le ministre de la Sécurité intérieure (qui vient de réintégrer ses fonctions), Itamar Ben Gvir[4], vient de révéler à quoi le Shin Beth est occupé : à s'attaquer aux membres du gouvernement. Il a posé la question à Ronen Bar : «Est-ce que vous avez surveillé des membres du gouvernement?» Le chef du service de sécurité s'en est défendu. Puis le ministre a produit les documents dénoncé par le journaliste Amit Segal, et les a mis sous le nez de l'intéressé, qui s'est mis à bafouiller. Le ministre lui a alors dit : «Vous cherchez à renverser le gouvernement, vous espionnez des membres du gouvernement.» Les personnalités visées par l'intéressé sont le ministre Ben Gvir, le chef de la police et celui des services pénitentiaires.

Ces accusations sont gravissimes. Avi Weiss[5], journaliste d'investigations et gradé de la police en retraite, ne se contente pas de voir en Ronen Bar un incompétent qui aurait dû depuis longtemps démissionner. Il considère que cet homme doit être arrêté et jugé. «Hier, le ministre Ben Gvir a produit un document titré : "Le coup d'Etat militaire du chef du Shin Beth limogé"… Pourquoi se contenter d'exiger une commission d'enquête gouvernementale? Si l'intéressé a commis de telles infractions, il doit être mis en état d'arrestation!  En tant que ministre, deux possibilités s'offrent à lui : faire engager une procédure d'enquête par le gouvernement, ou une commission de contrôle par la Knesset.» Weiss nous fait la lecture de l'ordre donné par Ronen Bar à ses administrés : «Il est écrit dans l'alinéa 4 : "Il faut continuer à rassembler des preuves et des témoignages de l'implication de l'échelon politique dans l'action de l'échelon sécuritaire dans le sens de l'emploi de la force dans l'irrespect de la loi et ramener un certain nombre de documents." Voici l'ordre qu'a donné le chef du Shin Beth!»

Les juges souffriraient-ils d'un défaut d'empathie pathologique à l'endroit de leurs frères? Passons brièvement au problème de la conseillère juridique actuelle du gouvernement. Elle se comporte non pas en consultante juridique mais en décideuse. Elle refuse de représenter le gouvernement devant le tribunal. La parlementaire Ketty Chitrit rapporte qu'elle a refusé quinze fois de défendre le gouvernement[6]. Pour le juriste Yoram Scheptel[7], Gali Baharav-Miara (c'est son nom) se comporte sur tous les plans comme une politicienne de gauche. En ce qui concerne sa déclaration selon laquelle le gouvernement ne serait pas en droit de limoger le chef du Renseignement intérieur, outre le fait qu'elle contredit la loi de façon flagrante, des liens d'amitiés lient son époux et la personne qu'elle défend. Elle a tenté de faire interdire par la Cour suprême les tractations du gouvernement en vue de désigner un remplaçant au chef du Shin Beth. Celle-ci a tout de même adressée à la demandeuse une fin de non-recevoir.

On aimerait un regain de détermination chez le Premier ministre. Tali Gotlib, députée du Likoud, n'a pas la langue dans sa poche, ce qui lui a valu des tentatives d'intimidation. Elle a été convoquée pour interrogatoire. Ayant révélé le lien entre le compagnon de Chikma Bresler – celle qui avait dit à Netanyahou avant le 7 oct. qu'il n'avait plus d'armée – et le Shin Beth, la conseillère juridique – encore elle – avait validé sa convocation et l'ouverture d'une enquête contre elle[8]. Certains juristes orientés ont tenté de lui «expliquer» que son immunité parlementaire n'était pas absolue. Elle a tenu bon. Netanyahou devrait donc à plus forte raison refuser de se prêter au jeu des faux procès qui lui sont intentés depuis des années. Espérons que la «nouvelle pugnacité [du] Premier ministre B. Nétanyahou, après avoir longtemps hésité à affronter le "pouvoir judiciaire"» perçue par P. Lurçat[9] marque de véritables points.

https://www.youtube.com/watch?v=FZjUfcNqSRY

 

 

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