Aux Américains d'exiger le départ immédiat des populations de Gaza
Logiquement et politiquement parlant, le président américain, et peu importe qu'il soit républicain ou démocrate, après le 7 octobre, aurait dû exiger le départ immédiat des Arabes de la bande de Gaza et la restitution de cette zone côtière à Israël. L'occupation par le Hamas et la population qui en génère et maintient l'existence – avec leur arsenal, leurs ramifications souterraines, leurs bombardements d'Israël – n'est pas née de la génération spontanée mais d'un long processus politique. Pour ceux qui sont nés après, ou qui ne voient pas le rapprochement, cette situation remonte aux pourparlers de Madrid qui n'auraient dû rester qu'une sorte de spectacle. Shamir avait besoin de garanties bancaires américaines pour préparer l'accueil du million d'immigrants au départ de l'ex-Urss, dans ce vaste contexte de la fin des quelque cinquante années que dura la guerre froide, de la chute du mur de Berlin à la chute du rideau de fer. Toute trace disparaissait de ce froid et glaçant conflit, excepté les bases de l'Otan.
Shamir affirmait qu'il ne céderait pas un pouce de la terre d'Israël à nos ennemis, bien qu'il n'exclût pas que d'autres le fissent après lui. Pour lui, ces pourparlers n'étaient qu'une mascarade. Il y refusa d'ailleurs la participation de membres de l'Olp. Les négociateurs devaient être propres de tout passé trop manifestement criminel. L'opinion était partagée. D'aucuns se rassuraient : ce n'est qu'un spectacle destiné à contenter les Américains. Les médias n'étaient pas dupes. Leur orientation aidant, ils instillèrent le lourd sentiment d'un grand ratage en cours. La propagande paya : le vote pour la Knesset contre Shamir troqua Pérès.
Il promit d'insuffler un vent d'espoir à sa façon aux discussions. A l'entendre, la situation de guerre permanente n'eût résulté que de l'entêtement de Shamir et de ses partisans, privant le pays de la paix qu'il eût suffi de cueillir en tendant la main. Bref, c'est la faute des Juifs, et si c'est un Juif qui le dit...
De fil en aiguille, avec quelques irrégularités dont les auteurs tel Weismann furent présentés comme de stoïques héros – qui rencontra illégalement les terroristes de l'Olp – un spectacle en appelant un autre, nous voici sur la pelouse de la Maison Blanche, en septembre 1993, pour la fameuse poignée de mains hollywoodienne, quand tout le monde devient – miracle américain – tout beau et tout gentil.
Sur ce point, il ne faut pas négliger ce qui peut sembler n'être qu'une nuance sans importance. Si l'antisionisto-sémite courant considère que le Juif est apatride et qu'il s'autorise par la force l'occupation d'une terre qui ne serait pas la sienne, l'Israélien quant à lui voit dans la Palestine biblique et historique le berceau de sa civilisation, la terre donnée par D. via ses pères Abraham, Isaac et Jacob, ce qui se décline et se laïcise pour certains – hors contexte spirituel – dans le lien effectif et national entre le peuple et sa patrie, et affectif pour les périodes d'exil. Donc, la différence entre les points de vue, l'antijuif d'une part et le juif de l'autre, s'exprime dans le discours récurrent de Rabin, qui parlait constamment de renoncements territoriaux douloureux (vitourim coavim). Bien sûr que c'est notre terre, et c'est bien pour cela qu'il est très douloureux pour nous de nous en défaire, mais la paix n'a pas de prix. Nous avons droit à cette époque à toute une panoplie d'arguments… par exemple : la valeur de la vie humaine est plus grande que celle de la terre, des intellectuels jouaient sur les mots : Adam (l'homme), Adama, la terre. C'est oublier que Caïn, chassé de la terre, réagit : «Quiconque me trouvera me tuera». On a droit aussi au discours de généraux : à l'ère des missiles balistiques, qu'importe que le tireur soit loin ou juste à côté de nous. Qu'en pensent en 5784 les habitants du Nord d'Israël?
Bref, sur ladite pelouse, outre les médias, il y avait aussi un certain Clinton. Cette présence n'est pas anodine et pas seulement destinée à des effets cinématographiques. Comme il s'agit du président des États-Unis d'Amérique, c'est que la puissance représentée se porte garante de la bonne marche de la transaction : territoires/paix.
On nous a bien endormis et séduits, quand la violence antijuive explosa juste après les accords, quand on nous disait que tout début est difficile, que la paix a bien été signée mais qu'il s'agit là de minorités groupusculaires malintentionnées qui tenteraient de faire échouer la paix, désignées pour simplifier par Rabin comme «ennemis de la paix». Tout mensonge finissant par révéler sa nature, celui des accords de paix a tout de même tenu 31 ans.
Vu sous cet angle, la réaction de tout dirigeant américain ne doit pas se limiter à une compréhension tiède de l'entrée en guerre d'Israël contre son agresseur, mais consister dans la prise de position nette qui engage la responsabilité et l'honnêteté d'un véritable garant :
«Israël a cédé ses territoires contre la paix. Non seulement Israël n'a pas eu la paix en échange, mais il s'est retrouvé en proie aux bombardements initiés par la partie adverse, et à un déferlement de pogroms sans précédent dans ce contexte qui n'a été jugulé que par le courage et le don de soi d'Israéliens en mesure de défendre leurs frères ou de se défendre, et par d'innombrables miracles. Les occupants arabo-musulmans, de leurs dirigeants au plus simple civil, sont instamment priés, puisqu'ils n'ont pas fourni la paix, de rendre les terres qu'ils ont obtenues en échange de cette paix et de déguerpir.»
Vu le non-respect par les Américains de leur engagement en tant que garants, on peut se demander s'ils n'avaient pas une idée derrière la tête dès le départ, d'autant que ce n'est pas la première fois qu'Israël réduit son étendue territoriale sous l'œil bienveillant dit-on des Américains. De Carter à Clinton, n'y aurait-il pas eu une intention de pousser Israël à sa perte? On sait que Carter s'est singularisé par des déclarations gravement anti-israéliennes pendant les décennies qui ont suivi la signature des accords du renoncement au Sinaï. Aujourd'hui, la mainmise égyptienne sur le Sinaï bloque Israël dans son effort de guerre. Il n'est pas fantaisiste de supposer que si les civils, parents et frères du Hamas quand ils n'en sont pas membres, avaient pu être déplacés jusqu'au Sinaï, la neutralisation de l'arsenal et des infrastructures terrestres et souterraines des suppôts de l'Iran et du Qatar n'eût pas été le casse-tête que nous connaissons, et les véritables innocents dont la captivité est subie dans des conditions indescriptibles auraient pu rentrer chez eux.
Les photos qui documentent la signature de la «paix» avec l'Égypte sont criantes. Il suffit de faire un petit peu attention aux expressions des protagonistes. Elles montrent un Carter et un Sadat hilares qui se lancent un regard complice, comme pour dire : «On l'a bien eu», tandis que Begin a l'air de se demander à quel moment il s'est fait avoir.
L'engagement américain dans les deux grandes démarches de retraits territoriaux d'Israël résulterait-il d'une erreur de conception de la paix?
L'antipathie ressentie par l'Occident à l'égard d'Israël est très ancienne. Or, si elle est profondément ancrée dans un culte qui voit dans ses propres adeptes les héritiers d'une nation déchue et remplacée, il est malaisé d'expliquer la persistance de cette antipathie plus de cent ans après le divorce consommé notamment entre la France et l'Église, qui devient État laïc légalement en 1905. Cette persistance peut se comprendre de deux façons. Soit c'est une rancune tenace dont la raison n'est plus, sentiment rémanent d'une ancienne motivation cultuelle qui se maintient bien après la laïcisation, telle la persistance rétinienne ; soit c'est une haine beaucoup plus ancienne antérieure aux débuts du catholicisme. Esaü qui cherche à tuer Jacob est traditionnellement le père de l'Occident. Cette religion que la présence judaïque dérange lui va donc comme un gant ; de même que les Arabo-musulmans affiliés à Ismaël posent problème antérieurement à l'avènement de l'islam, leur religion agissant comme un justificatif anachronique de la haine contre Israël. Les futurs déboires causés à Israël par ces religions impérialistes et expansionnistes sont anticipés non seulement à l'époque de la Michna mais des Premiers Prophètes. De sérieux problèmes seront posés par les fils d'Ismaël à la fin des temps[1], que marque le commencement de la rédemption d'Israël avec son retour de l'exil en ses frontières. Dans les Psaumes, une prière d'apparence intemporelle est adressée à l'Eternel, quand, au verset 7 du chapitre LXXXIII (83), le psalmiste lui demande de ne pas garder le silence face aux «tentes d'Edom et aux Ismaélites». Or Edom, c'est Esaü (Genèse XXXVI, 8). On notera bien que cette menace est prononcée plusieurs siècles avant l'avènement des deux religions qui les motiveront plus tard.
Extrait de mon dernier livre :
5784 Israël, la brisure/rupture des conceptions
450 pages
[1] Zohar, section Vaéra, page 32.