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«Méfiez-vous des faux amis!» nous avertissaient nos profs d'anglais. Car un même mot dans les deux langues peut revêtir des significations divergentes et provoquer des quiproquos. La Pratique de l'anglais de A à Z y consacre un chapitre entier, bien que cette liste pour sa part s'arrête à V. Une intention polie de votre part pourrait être mal comprise. Si à une personne serviable, vous dites que vous ne voudriez pas abuser en calquant le vocable français, votre interlocuteur pourrait se demander quelle méprise de sa part devrait lui valoir une injure de la vôtre, comme si vous vous reteniez de lui parler durement, to abuse signifiant injurier. Dans une relation symétrique, si vous pensez avoir commis un impair, et que l'on veuille dédramatiser et vous tranquilliser, vous ne sauriez plus où vous mettre en apprenant que ce que vous avez commis est trivial, alors qu'en face ce terme ne signifie pas obscène ou vulgaire, mais banal[1].
Donc, restons sur nos gardes, point d'amis dans la culture linguistique anglo-américaine!
Et pas seulement sur le plan de la langue! Notre ex-délégué à l'Onu, promu il y a presque trois décennies jeune Premier ministre d'Israël, est reçu en chef d'Etat par le président américain de service, qui le reçoit dans la plus grande simplicité donnant l'illusion à s'y méprendre d'une amitié réelle. Notre diplomate se sent comme un poisson dans l'eau, tant et si bien qu'il va se prendre pour un des leurs. Maîtrisant parfaitement l'anglais, oubliant qu'il se trouve en terre étrangère, et se laissant entraîner par le mimétisme, il abondera dans leur sens, ce qu'il paiera au tournant des prochaines élections. Il aurait dû alors comprendre le message pour ses futurs rebondissements politiques : «Eh, oh! Vous êtes Premier ministre par la force de vos électeurs, et vous vous êtes pris pour un gouverneur désigné par le Foreign Service américain.»
Dans le roman d'anticipation Ravage[2], les nations modernes ou futuristes se mettent à craindre et à prendre au sérieux «l'Empereur Noir». On apprend notamment à son sujet : «Le monde entier savait qu'il avait fait le vœu de ne plus prononcer un mot dans une autre langue». Si l'État juif ressuscité a tellement tenu à se réimposer l'hébreu, quand Edmond trouva le français bien pratique, Moses Haïm l'anglais et l'hôpital de Jérusalem l'allemand, c'est qu'il a voulu réaffirmer son appartenance nationale et son indépendance (pas comme certains envahisseurs que rien n'attache à notre terre).
Quelle joie, quelle soulagement, se disait-on à l'approche de l'investiture de l'Alt-Neu –ancien-nouveau – président américain, dirigeant promis à toutes les aspirations de nos espérances! Or, alors que le compte à rebours n'affichait plus que trois jours, coup de théâtre : le gouvernement israélien accepte dans la plus totale soumission un accord euphémistique désastreux. «Quoi? Crapule de Biden! Au dernier moment, il a quand même réussi à nous torpiller!» ont pu se dire certains citoyens à qui il manquait encore des éléments mais pour qui la logique n'avait rien pu suggérer d'autre. «Non, non… Trump!» «Est-il devenu fou? Serait-il lui aussi corrompu par ce maudit pays commençant par la lettre Q? Un si grand ami d'Israël!» Non plus. On perd de vue que les relations entre Etats sont régies par des intérêts uniquement. Rapports de force, relations d'influence, de pressions ou d'ouvertures économiques… conglomérats d'alliés ou d'opposants, d'«amitiés» ou de conflits.
Les Allemands et les Soviétiques font ami-ami au début de la Seconde guerre mondiale. Puis ils se fâchent et les Soviétiques deviennent du coup les copains des Américains et gagnent ensemble contre l'Allemagne cette guerre. Puis il y a un froid entre eux et c'est la guerre du même nom. Mais enfin, les amis, serrez-vous la main! Que nous vaut ce caractère primesautier et capricieux? Pour faire un peu d'ordre là-dedans, il suffit de se rendre à l'évidence des rapports d'intérêts et d'influences.
S'il peut être question d'une aide américaine à Israël, elle n'a rien à voir avec une aide substantielle qu'apporterait un frère au membre pauvre de la famille. Pareillement, il n'est pas non plus question de ne pas décevoir à ce frère à qui, pour ne pas être ingrat ou risquer de le voir se détourner, on ne peut rien refuser, même s'il nous en coûte. Simplement, l'oncle d'Amérique sait que certaines alliances peuvent être coûteuses. S'il identifie une puissance inébranlable dans cet Orient submergé par un désert islamique infernal, alors il mettra à contribution son dieu, l'argent, dont le texte confirme la tendance : We trust. Aux Usa, tout se mesure et se comprend en argent. Quand quelqu'un veut connaître la valeur d'un autre, c'est qu'il veut savoir combien il gagne à l'année. Deux exemples illustrent assez bien l'intérêt que représente pour eux Israël. L'arsenal soviétique saisi par Israël a permis aux Américains de rattraper leur retard technologique militaire. Quand l'Iran si occidentalisé et pacifié a sombré dans l'obscurantisme le plus radical, les Américains ont été bien content d'avoir encore un pied-à-terre dans la région. La nuance qui peut échapper au regard distrait, c'est qu'Israël n'est pas le phare de l'Occident, avatar occidental ou ambassade, mais qu'il doit rayonner sur l'Occident. Quand on n'a rien à dire ou à défendre, il ne faut pas s'étonner que l'Amérique inverse les rôles.
Il n'y a donc pas eu de revirement de Trump. Seulement, il avait fait une promesse signifiée par une menace. Gare aux occupants arabo-musulmans de Gaza si, d'ici à son investiture, les otages juifs ne sont toujours pas libérés. Qu'allait donc faire Trump? Personne n'a pensé qu'il plaisantait. Or Trump pense en businessman. Ils respirent tellement les affaires, le marchandage, etc., que business s'est imposé dans toutes les autres langues. Consultons le catalogue des opportunités. Première possibilité : exiger un blocus total sur Gaza (eau, vivres, électricité), un déplacement des populations désireuses de partir (en contrôlant qu'elles ne cachent pas d'otages dans leurs rangs), soutenir Israël pour qu'il se ragaillardisse et complète le travail commencé le 8 oct. 23. Oui, mais c'est assez coûteux: troubles dans le vaste monde arabe, reconversion des manifestations contre Israël en manifestations contre Trump. Et certains pourraient aussi lui chercher une origine juive jusqu'à quatre générations! Voyons… voir… Ah, oui, mais non. Dis, Netanyahou, tu ne voudrais pas payer à ma place? J'ai promis mais pourquoi est-ce que je dois aussi payer? Netanyahou n'a pas discuté le prix.
La sagesse suggérée par l'immobilisme accepte l'idée que personne n'ignore que cet accord ne présage rien de bon pour Israël, mais qu'on n'aurait pas le choix. Quelle est notre force en comparaison de la puissance américaine? Cette sagesse préconise le calme. Ne démordant pas de l'idée que Trump est notre grand ami, elle suppute qu'il sera nettement plus vindicatif mais cette fois en notre faveur vis-à-vis de l'Iran qui malgré les revers essuyés de notre part n'a pas renoncé à son programme nucléaire.
Ce thème rejoint le principe selon lequel la configuration de l'échiquier international est non seulement une question de force réelle mais surtout de détermination. On demande à celui qui se tait de se taire, et on compose avec celui qui s'impose. Nous avons déjà vu que les Usa, face à la non-réactivité d'Israël face au Liban, avaient exigé d'Israël un cessez-le-feu avant l'heure, avant de se réjouir de l'élimination par Israël du chef du Hezbollah. Y a-t-il eu une révolution politiques aux States? Un passage de Biden à Trump? Non, c'est le même Biden qui est resté Biden. Ce retournement ne s'appuie pas sur l'instabilité de sa lucidité, mais uniquement sur le tour de force d'Israël qui a tout simplement su s'imposer.
On peut aussi ruser pour désamorcer la pression. Olmert fut Premier ministre, durant la première vacation de Netanyahou. Le président américain de service montra les muscles et exigea d'Olmert l'arrêt de la construction à Ma'alé Adoumim, «coupant la Palestine en deux» (sic). Olmert ne chercha même pas à se demander s'il était suffisamment musclé pour se mesurer à son visiteur envahissant. Il lui adressa une fin de non-recevoir, un diplomatique : «Va voir là-bas si j'y suis». Il lui dit simplement qu'une telle décision n'était pas de son ressort, et que jamais on ne le laisserait faire, même s'il était d'accord.
Chirac annonça en 95 qu'il ferait exploser huit bombes atomiques dans le Pacifique, de septembre à mai 96[3], dans le cadre du vaste programme d'essais nucléaires de la France. Or, déjà à cette époque, nul n'ignorait la nocivité et les graves dangers d'une telle démarche. Il fut instamment prié de renoncer à son projet. Les Usa prirent des mesures et tentèrent de le toucher là où ça fait mal. Ils n'importeraient plus de vin français. Chirac, dédaigneux, déclare qu'ils n'auraient qu'à se contenter de la médiocrité de leurs produits locaux. Pour finir, le bras de fer se repositionne : on exige de la France de ne plus commettre d'essais au-delà de ce qu'avait annoncé Chirac. La France s'incline. Il lui faudra néanmoins encore vingt années avant de reconnaître les effets néfastes sur l'environnement et les personnes humaines enfin reconnues comme victimes de ses manipulations et indemnisées.
Qu'est-ce qui empêchait Israël de protester qu'après le sacrifice énorme de la société qui a perdu la crème de sa jeunesse, le peuple n'accepterait pas de revenir à la case départ, à accepter de se soumettre aux chantages d'une organisation que la guerre présente aurait dû mettre définitivement hors d'état de nuire et d'exister? Qu'après tout l'effort national investi, il est impensable de revenir à cette situation de rounds qui durait déjà depuis 18 ans? Ou de rappeler à Trump qu'il avait menacé directement le Hamas au cas où, d'ici sa prise de fonctions, les otages ne seraient toujours pas restitués, et qu'il est hors de question de faire payer par d'autres ce qu'on a soi-même promis? Netanyahou avait lui-même annoncé que les règles du jeu changeraient dès l'arrivée de Trump. C'était oublier le businessman, car s'il avait été plus ferme, il eût pu faire modifier les règles, mais…
Le père d'Oury Danino, a parlé franchement à Netanyahou, lui signifiant que son fils a été tué dans un tunnel que le Premier ministre avait laissé creuser[4]. Il l'a accusé d'être responsable de la mort de son fils. Netanyahou a répondu qu'il comprenait sa douleur, rappelé que lui-même avait perdu son frère, mais que l'accusation était facile car personne n'est soumis aux pressions que doit subir constamment le Premier ministre. Mais alors, puisqu'en d'autres termes vous avouez que vous êtes si réductible, pourquoi vous êtes-vous lancé dans cette aventure, sachant que vous dirigeriez non plus une communauté juive de l'exil, mais la nation juive entre les nations, et qu'il vous faudra non seulement résister mais contrattaquer?
[1] Quoique dans un langage soutenu en français les significations se rejoignent et donnent raison à l'anglais.
[2] Barjavel lance la littérature de la science-fiction en France. Ravage est publié en 1942, après avoir été diffusé par morceaux au cours de son écriture dans le journal de triste mémoire Je suis partout, du célèbre éditeur Fayard. Il semble que le titre n'ait pas eu de connotation antisémite à sa création en 1930, mais qu'il voulait dire que rien de ce qu'il se passait dans l'actualité n'échapperait à sa rédaction. Ce ne fut qu'en 32 que son caractère antisémite et collaborationniste – du maurrassisme – s'est affirmé. Rattrapé à la Libération, Barjavel, qui n'écrivait que ses contes, fut finalement mis hors de cause.
[4] https://www.ynet.co.il/yedioth/article/yokra14070921 Elhanan Danino comptait parmi les six otages fusillés par le Hamas début septembre 24.